Histoire du Maghreb depuis les indépendances : états, sociétés, cultures.

Le présent ouvrage¹ rendra un service immense à tous les étudiants et professionnels de sciences humaines et sociales travaillant sur le Maghreb contemporain. Première du genre, l’entreprise réussit à proposer une histoire de cette région du monde depuis 1956 jusqu’à aujourd’hui, soit depuis la fin de la période coloniale jusqu’aux mutations politiques et sociales les plus récentes. L’enjeu était en effet de produire une histoire régionale qui décloisonne les trajectoires des trois États de la région : le Maroc², l’Algérie et la Tunisie³.

Clair, adroitement illustré et soutenu par une solide bibliographie, l’ouvrage qui tend par endroits au manuel d’histoire n’évite ni les complexités, ni les comparaisons. Au contraire, usant d’encadrés spécifiques et d’un développement par étapes, il réussit à replacer les expériences maghrébines nationales dans un mouvement plus général.

Structuré en quatre grandes parties agencées de manière chronologique, l’ouvrage est composé, en plus d’une introduction et d’un épilogue, de 17 chapitres.

Portant sur “la construction des États maghrébins”, la première partie réunit quatre chapitres qui éclairent différents aspects de la période 1950-1960, celle des indépendances et de l’affirmation des trois nations maghrébines sur la scène internationale. Est ainsi posée la problématique générale du livre et de l’histoire contemporaine du Maghreb : celle de l’unification politique impossible d’une région qui fait pourtant face aux mêmes enjeux démographiques, sociaux, économiques et culturels.

Intitulée “le temps des nations et des leaders”, la deuxième partie introduit la question du culte politique des personnalités de Bourguiba en Tunisie⁴, Hassan II au Maroc⁵ et Boumediene en Algérie, et celle de l’émergence d’une historiographie officielle. Entre visibilité et répressions, la période 1970-1980 n’en demeure pas moins marquée par une ébullition culturelle qui, dans le champ politique, prend les visages de la dissidence de gauche, de l’islam politique, et des contestations berbères. Mais la période est surtout marquée par l’affirmation de concurrences nationales sur la scène internationale : du conflit armé, au Sahara occidental, entre le Maroc et l’Algérie, aux compétitions sportives.

“Entre réformes et autoritarisme”, selon le titre de la troisième partie, la période 1980-2010 s’ouvre, quant à elle, avec une crise économique majeure et est rythmée par une série de contestations sociales. Outre la tragédie algérienne des années 1990, cette longue période est traversée par des mutations sociales qui transforment en profondeur les sociétés : l’inachèvement des transitions démographiques, les évolutions du modèle familial, la massification de l’éducation, la diffusion des moyens de communication et de consommation, la complexification des migrations… bref, autant d’éléments qui “peuvent aussi expliquer la structuration des contestations au Maghreb dans les années 2010” (p. 224).

La quatrième et dernière partie est justement consacrée au visage des sociétés maghrébines depuis l’éclosion du Printemps arabe en 2011. On s’attardera surtout sur les chapitres 14 et 15 qui offrent des clefs de lecture et d’analyse particulièrement éclairantes : sur l’émergence d’un nouveau rapport au politique, et sur l’apparition de cultures et débats post-révolutionnaires. Le chapitre 16 aborde quant à lui les différentes dimensions internationales : des politiques migratoires à la lutte contre le terrorisme. A ce sujet, un important paragraphe est consacré à la politique africaine du Maroc. Enfin le chapitre 17 introduit le lecteur au mouvement algérien Hirak⁶ qui a déjà fait l’objet de plusieurs recensions sur notre site.

Ressort donc de cette lecture une compréhension régionale, mais aussi “par le bas”, celle d’un Maghreb “ordinaire”. Précieux quant à son amplitude et sa mise en perspective, cet ouvrage aidera ainsi à se saisir du Maghreb des Maghrébins.

Rémi Caucanas⁷

Notes de la rédaction