Titre
Ben Barka, Hassan II, De GaulleSous titre
Ce que je sais d’euxAuteur
Maurice Buttin ; préface de Bachir Ben BarkaType
livreEditeur
2e éd. revue et augmentée.- Paris : Karthala, 2015Nombre de pages
526 p.Prix
29 €Date de publication
31 juillet 2020Ben Barka, Hassan II, De Gaulle
Plusieurs décennies se sont écoulées depuis l’enlèvement en plein Paris, le 29 octobre 1965, du leader marocain Mehdi Ben Barka (1920-1965) sans que la lumière ait été faite sur sa « disparition ». Depuis qu’il a été constitué par la famille, deux jours après l’événement, Me Maurice Buttin a engagé un combat qui a été qualifié de « combat de toute une vie » pour approcher la vérité. Il en raconte le déroulement sinueux dans un ouvrage réédité en 2015 avec une préface de Bachir Ben Barka, le fils aîné de la victime et des compléments d’informations qui ne changent rien aux conclusions initiales.
Natif de Meknès (Maroc) en 1928, l’auteur1 livre en témoin averti une relation sur les sombres premières années de l’indépendance. Il rappelle brièvement, dans une première partie, la résistance marocaine au Protectorat (1912-1956) marquée par la déposition du sultan et son retour préparé par l’action des Français libéraux dont il partageait les convictions. En 1956, le Maroc apparaît comme « le seul pays du Tiers-Monde où les forces du mouvement de libération nationale n’ont pas assumé la responsabilité du pouvoir après avoir gagné l’indépendance ». La dynastie alaouite qui détient le pouvoir depuis le XVIIe siècle le conserve sans rien perdre de son esprit féodal.
Dans une deuxième partie, Maurice Buttin décrit les années de plomb (1956-1965) pendant lesquelles une répression féroce s’abat sur les adversaires du pouvoir marocain. Les opposants devenus trop gênants sont systématiquement éliminés à l’ombre de complots ourdis par Moulay Hassan d’abord en tant que prince héritier, puis au nom d’Hassan II (1956-1965). L’hostilité à l’encontre de Ben Barka, le meneur populaire de l’opposition marocaine, est immédiate. Pourtant, sans en accepter le caractère absolu, le régime monarchique n’était pas mis en cause. La notoriété internationale de Ben Barka, l’importance qu’il prend parmi les dirigeants du Tiers-Monde exaspère le roi qui l’a contraint à l’exil pour sa sécurité. Il est élu président du Comité préparatoire de la Conférence dite tricontinentale prévue à la Havane en janvier 1966 en support aux mouvements de libération nationale à travers le monde. Son activisme dérange ; Hassan II l’estime plus nocif à l’étranger que s’il était au pays. Son retour au Maroc s’impose et seule la force peut y aboutir, puisque les garanties écrites demandées par Ben Barka font défaut.
La troisième partie du livre qui en occupe les deux tiers est consacrée à l’Affaire elle-même depuis le dépôt des plaintes consécutives à la disparition, l’instruction, les deux procès en 1966 et 1967. La première plaidoirie de Me Buttin, à l’automne 1966, lui vaudra une interdiction royale de revenir au Maroc pendant dix-sept ans ! Deux moments distincts sont examinés : l’enlèvement de Ben Barka et sa mort imprévue (vraisemblablement due à un « accident ») qui conduit à sa « disparition ». L’ouvrage détaille les hypothèses sur les circonstances de l’enlèvement et de la mort ; il s’attarde sur les rumeurs relatives au transport du corps et à sa suppression. Un dernier chapitre, qui s’interroge sur la part de vérité israélienne ou américaine, se rapporte aux responsabilités des personnages mêlés à l’Affaire, tant marocains que français. Pour le général de Gaulle, il n’y a eu là « rien que de vulgaire et subalterne ». La réalité apparaît différente puisqu’une complicité se dégage du rôle joué par des hommes des services secrets, voire de hautes personnalités qui pour le moins ont fait preuve de négligence. Du côté marocain, l’action d’agents aux ordres du roi apparaît déterminante et masque la responsabilité d’Hassan II qui, en renversant une formule célèbre, n’en est pas moins le véritable coupable !
La recherche de la vérité piétine toujours entre secret-défense français et immobilisme marocain. L’avènement de Mohammed VI laissait espérer une réouverture du dossier qui s’est finalement heurtée à la raison d’Etat2. Le mystère demeure et la famille Ben Barka ne peut faire son deuil. De son côté, Me Buttin s’est retrouvé en 2014 poursuivi par la justice sur la plainte d’un condamné par contumace en 1967. « C’est surréaliste » ! Fallait-il le faire taire ? Ben Barka, mort, est-il encore craint du pouvoir marocain ? La vérité fait-elle si peur, se demande-t-il ? Pourtant la vérité est à Rabat ; telle est sa conclusion. Rien n’arrêtera son combat pour la faire sortir du puits. Il ne désespère pas d’y parvenir, porté par une énergie qui se nourrit inlassablement de justice et de vérité.
Dédié aux victimes du pouvoir marocain et aux militants des droits de l’Homme, cet ouvrage documenté et rigoureux a reçu à Paris, en 2011, le 28e Prix littéraire des nouveaux Droits de l’Homme3, des mains du président du Sénat Jean-Pierre Bel. C’est une référence pour qui veut connaître une des grandes affaires du XXe siècle4.
Henri Marchal5
Notes de la rédaction
1 Maurice Buttin né à Meknès (Maroc), s’est inscrit au barreau de Rabat en 1953. Il a alors fait la connaissance de nombreux dirigeants nationalistes et notamment de Mehdi Ben Barka, à sa sortie de prison en septembre 1954. Il a plaidé à plusieurs reprises pour des résistants marocains à la veille de l’Indépendance du pays. Après sa plaidoirie aux Assises de la Seine en 1966 dans l’affaire Ben Barka, il s’est trouvé interdit de revenir au Maroc par ordre du roi Hassan II (pendant 17 années) et a perdu son cabinet. Il s’est alors inscrit au barreau de Paris, en 1967, et il n’a cessé de soutenir la famille Ben Barka dans son combat pour découvrir la vérité dans ce crime.
Il soutient aussi, par ailleurs, la cause palestinienne depuis juin 1967 (GRAPP, avec Maxime Rodinson). Il a été vice-président de l’Association de Solidarité Franco-Arabe (ASFA) dès 1974 ; co-fondateur-président de l’Association France-Palestine en 1979 ; président du Comité de vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient (CVPR-PO) ; membre des C.A. des Amitiés franco-irakiennes, et, aujourd’hui, de Pour Jérusalem, des Amis de Sabeel-France et de Chrétiens de la Méditerranée.
2 Sur Le Maroc de Mohammed VI, voir les Regards, à partir du 19/07/2020, de Daniel Rivet, auteur d’Histoire du Maroc.- Fayard, 2012, et lire aussi sa recension de Géopolitique du Maroc / Kader A. Abderrahim.-BiblioMonde, 2018.
3 Voir la liste des Lauréats du Prix Littéraire des Droits de l’Homme, depuis 1984.
4 Dans un article publié par Mediapart, le 28 juin 2020, Maurice Buttin, avocat de la famille Ben Barka donc, depuis plus de 54 ans, revient sur son long combat pour la vérité et dénonce Le mépris du pouvoir.
Voir aussi le documentaire de France 3 (oct. 2015) : Ben Barka, l’obsession, actuellement accessible sur You Tube (durée : 51 mn) dans lequel Me Buttin intervient à plusieurs reprises.
5Henri Marchal, né à Rabat, est Conservateur général (honoraire) du Patrimoine (Musées de France).
Président de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer en 2019. Ancien membre du C.A. et Trésorier du CVPR-PO.