Tunisie, la révolution inachevée

Olivier Piot, journaliste spécialiste de l’Afrique et du Moyen-Orient, est resté un compagnon de route de la Tunisie depuis son premier ouvrage sur la révolution tunisienne de 2011 : Dix jours qui ébranlèrent le monde arabe (4-14 janvier)¹ 

En 2011, le peuple qui “a brisé la chape de silence”², a tourné la page de son histoire, pris la parole, retrouvé la liberté pour condamner la loi d’airain de la dictature de l’ère Ben Ali. En dix ans, la société a changé. Elle est différente, avec la possibilité désormais de s’exprimer librement au travers des mécanismes de la démocratie. Des progrès indéniables apparaissent sur les libertés grâce à la mise en place de la nouvelle Constitution de janvier 2014, les acquis de la révolution “existent, gravés dans les textes et institutions et dans l’esprit citoyen d’une nouvelle culture politique forgée depuis dix ans.”³

Mais cette révolution est fragile en raison de l’incapacité de tous les dirigeants politiques, depuis 2011, à régler les questions économiques et sociales, centrales pour l’avenir du pays. Le pays est actuellement au bord de la faillite. La crise économique endémique se concrétise par une forte inflation de 6,4%⁴, un taux important de chômage en particulier de 40,8% chez les jeunes⁵, l’emploi des jeunes, la marginalisation des régions, la question des salaires, la tentation de l’exil⁶. Entre 2011 et 2021, les dysfonctionnements dans la gouvernance économique ont creusé les inégalités au fil des années et provoqué un fort mécontentement des Tunisiens. La crainte de l’auteur dans son approche “vers une révolution confisquée ?”⁷ dans son manuscrit de 2011, se “transforme en certitude” aujourd’hui.

C’est dans un contexte de marasme économique, de crise sociale et politique que son nouvel ouvrage Tunisie, la révolution inachevée  arrive au bon moment pour nous aider à comprendre ce qui s’est passé sur ces dix années écoulées après le fabuleux élan démocratique né en 2011.

Son ouvrage est le fruit de deux expériences.

La première est le résultat de son travail journalistique sur la révolution de jasmin⁸ qui l’a marqué comme un exemple unique au moment des printemps arabes, avec ses acquis fondamentaux dont la transition démocratique qui se poursuit. L’intégralité du carnet de route de ses reportages de l’époque, publié en mars 2011, est reprise dans le premier chapitre du livre Tunisie, la révolution inachevée avec des interrogations, déjà à l’époque, sur l’avenir de la révolution.

La deuxième expérience est l’observation de l’évolution de la société tunisienne entre 2011 et 2021 à travers le prisme d’un travail journalistique en Tunisie et en France dans les deux chapitres suivants : Anatomie d’une révolution confisquée et Stigmates d’une société asphyxiée. L’auteur donne la parole à “six grands témoins”, acteurs de la révolution tunisienne, journalistes, militants de la société civile. Ces témoignages permettent de montrer l’origine des nombreux mouvements sociaux sans discontinuité depuis 10 ans ; de dégager des analyses autour des questions économiques, sociales, constitutionnelles, politiques ; d’expliquer les raisons de la situation actuelle dans laquelle se trouve le pays ; d’exprimer des craintes et proposer des pistes d’espoirs pour l’avenir de la jeune révolution tunisienne⁹.

Cet ouvrage participe à la volonté de dégager “la vérit锹⁰ depuis la fin de Ben Ali et de montrer les défis à relever “pour aller de l’avant, pour transformer l’essai de 2011 et pérenniser les acquis de sa transition”¹¹.

Patrick Gérault

Membre du CA de CDM