Titre

Algérie, la nouvelle indépendance

Auteur

Jean-Pierre Filiu

Type

livre

Editeur

Paris : Seuil, déc. 2019

Nombre de pages

166 p.

Prix

14 €

Date de publication

30 mai 2020

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Algérie, la nouvelle indépendance

Le titre illustre le propos de l’auteur autant que l’aspiration des millions d’Algériens qui manifestent tous les vendredis depuis le 22 février 20191, d’abord contre un cinquième mandat présidentiel de Bouteflika et, depuis son retrait, pour des élections transparentes et l’institution d’un Etat civil débarrassé de l’emprise de la junte militaire au pouvoir depuis 1962.

Ecrit avec concision et fluidité, ce petit essai associe l’analyse de conjoncture (la pratique du « vendredire » épurée de la culture de l’émeute préexistante) et les flashes back historiques sur le passé immédiat.

Filiu s’arrête en septembre 2019. Rien n’est encore joué. Les forces vives de la société algérienne en ébullition hésitent entre deux options : une élection présidentielle qui ne soit pas truquée comme les précédentes, sauf celle de 1995 (le général Zeroual élu à une majorité très relative) ou le préalable d’une assemblée constituante comme en Tunisie après la thawra de 2001. Les « décideurs » (comme on dit en Algérie) ou « mamelouks modernes » tentent, sans y parvenir, de déminer la dynamique du hirak (littéralement : mise en mouvement) qui déferle dans la rue, sans leader, sans partis, sans feuille de route préalable, ni agenda politique explicite. Ils s’échinent en vain à opposer berbères et arabes et à faire jouer le « syndrome du complotisme », avec en filigrane la sempiternelle dénonciation du hizb fransa (parti de la France). Pour satisfaire le « dégagisme » ambiant, on fait tomber des têtes dans l’entourage du président Bouteflika déchu et au sein des services de sécurité. Cela ne convainc plus grand monde, tant l’aspiration des Algériens à une refondation de la république va crescendo.

L’auteur analyse finement ces foules en ébullition dans tout le pays, y compris dans le sud. Il monte en épingle les pancartes des manifestants, les chansons et les clips vidéo qui entretiennent un humour ravageur, mais toujours joyeux. En 1962, les Algériens ont libéré leur territoire ; en 2019, ils s’émancipent de l’Etat caserne et refondent leur pays.

Surtout, cette analyse à chaud d’un instantané acquiert une profondeur historique grâce à des raccourcis dessinés d’un trait sûr. Les uns portent sur le féminisme d’Etat et l’irruption des femmes dans la rue et sur les stades de football, un espace d’apprentissage du vivre ensemble autant qu’un défouloir. Ces notations sont plus piquantes encore lorsqu’elles examinent l’Etat néo-mamelouk vivant de la rente pétrolière et forgeant un système de redistribution clientéliste d’une efficacité démoralisante, ou quand elles décrivent la trajectoire à rebonds et à éclipses des mouvements islamistes de 1989 à aujourd’hui.

Avec justesse, Filiu démontre que le phénomène en cours est bien plus qu’une parenthèse démocratique, comme ce fut le cas de 1989 à 1991. Au lendemain de la répression sanglante par l’armée des émeutes d’Alger en octobre 1989, le président Chadli avait déverrouillé un peu un régime fort autoritaire, mais c’était en pleine montée de l’islamisme (création du FIS d’Abbas Madani). En 2019, les islamistes sont déconsidérés depuis la décennie noire (1991-1999) et la nouvelle génération, plus instruite, a vécu sous quatre présidences de Bouteflika. Elle ne s’en laisse plus compter. Elle n’assimile plus l’Etat de droit à une « importation » de l’Occident.

On adhère volontiers à cette lecture de la transition démocratique en cours par Filiu, sauf à tempérer sur un point son exercice de concordance des temps entre 1962 et 2019. L’indépendance acquise par les Algériens fut-elle vraiment confisquée par les militaires ?

En 1962, les Algériens sont en majorité soulagés, ô combien, de s’extraire de sept années de guerre atroce et de se débarrasser de la minorité européenne. Et leur intelligentsia est prométhéenne. Elle projette d’instituer cet homme nouveau issu du tiers-monde qui est l’idéal de toutes les intelligentsias du sud, et non pas de promouvoir une démocratie citoyenne discréditée par les élections truquées en Algérie sous la IVème république et les vains jeux de tréteaux politiques tolérés par le système colonial.

Cette erreur d’appréciation affaiblit quelque peu la démonstration limpide de ce professeur à Sciences Po de Paris2 qui sait si bien capturer l’éphémère et entrer avec lui en intelligence historique.

Daniel Rivet3

Notes de la rédaction

1 A voir : Algérie, mon amour, documentaire inédit de Mustapha Kessous (70 mn), diffusé sur France 5, mardi 26/05/2020, à 20h55. Interrompu pendant le confinement exigé par la pandémie du coronavirus, le hirak reprendra-t-il avec le déconfinement ?

2 Jean-Pierre Filiu, historien et arabisant, est professeur des universités à Sciences Po (Paris), après avoir été professeur invité dans les universités de Columbia (New York) et de Georgetown (Washington). Ses ouvrages, diffusés dans plus de quinze langues, ont été régulièrement primés en France et à l’étranger.

Il était l’invité de Pierre Weill sur France Inter, le 30/12/2019, dans l’émission Un jour dans le monde sur : Algérie, les révoltes de 2019. (durée : 42 mn).

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