Titre

Histoire de la Tunisie

Sous titre

De Carthage à nos jours

Auteur

Sophie Bessis

Type

livre

Editeur

Tallandier, févr. 2019

Nombre de pages

525 p.

Prix

23,90 €

Date de publication

3 septembre 2019

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Histoire de la Tunisie. De Carthage à nos jours

Les médias occidentaux, comme les observateurs de la politique internationale, accordent souvent à la Tunisie une première place, sans rapport avec la modestie de son territoire et de sa population. Ce petit pays, au cœur de la Méditerranée, accréditerait ainsi sa particularité, cette « tunisianité » que certains lui attribuent. Sophie Bessis[1], ancienne journaliste et agrégée d’histoire, travaille depuis plus de quarante ans sur les réalités et les populations qui ont marqué les trois millénaires de l’histoire du pays. Elle offre, au lecteur contemporain, un récit simple, mais d’une grande érudition, non sans s’interroger sur les interprétations, manipulations et instrumentalisations, (religieuses ou politiques), inhérentes à la construction de tout « roman national ».

Si la trame de l’ouvrage est naturellement chronologique, l’auteur avertit d’emblée que le déséquilibre des deux parties est volontaire. La première moitié couvre plus de deux millénaires, la seconde moins de deux siècles seulement, les plus proches de nous, ceux qui ont modelé la Tunisie que nous connaissons. Car Sophie Bessis s’attache moins à narrer des faits qu’à faire comprendre les mécanismes d’une histoire dans toute sa complexité, en observant certaines constantes permanentes.

Des temps forts rythment donc cette longue histoire, chacun laissant son empreinte dans la réalité d’aujourd’hui. Ainsi des huit siècles de la puissance de Carthage (ch.1), puis de la colonisation romaine christianisée (ch.2) et de l‘Ifriqiya des conquêtes arabes et turques musulmanes (ch. 3 et 4) jusqu’à la Régence d’une Tunisie en quête de réformes à l’aube du monde moderne (ch. 5 et 6). L’époque contemporaine est marquée par les soixante-quinze ans (1881-1956) du Protectorat français (ch. 8) et l’avènement d’une Tunisie indépendante sous le « despotisme éclairé » de Bourguiba et de l’autre « despotisme prédateur » du clan Ben Ali (ch.9). La dernière séquence (ch. 10) est celle des espoirs de la « révolution » de 2011.

C’est au travers de toutes ces péripéties que Sophie Bessis livre une première clef de compréhension. Par sa géographie, la Tunisie est à la fois côtière au nord et à l’est, et saharienne au centre et au sud. Déjà se dessine une double Tunisie. Celle des Carthaginois et des Romains est essentiellement urbaine et sédentaire aux bords des côtes. Elle aura toujours à se défendre des tribus berbères nomades des montagnes et du désert. L’Ifriqiya musulmane créera sa propre capitale hors de la côte : Kairouan. Mais les échanges commerciaux continueront à se faire par mer (y compris la piraterie…) et le Protectorat accentuera cette dichotomie par l’introduction de la production industrielle près des ports. Aujourd’hui, les principales villes de Tunisie sont portuaires.

La seconde clef de compréhension est celle de la permanence du désir d’autonomie. Déjà les Carthaginois n’étaient plus des Phéniciens et la province romaine s’éloignait de Rome, comme Tunis s’éloignera plus tard de Constantinople. Même l’islam malékite importé d’Orient sera tempéré de pratiques maraboutiques, de confréries et de culte des saints qu’auraient pu désavouer un islam hanafite et surtout hanbalite (ancêtre du wahhabisme).

Enfin, troisième clef qui rejoint la première : cette double Tunisie reste tiraillée entre la sédentarité agricole et industrielle autour des grandes aires urbaines à l’occidentale, et le nomadisme, la tribalité et l’abandon du centre et du sud. Le divorce s’accentue entre la première qui se veut dynamique, autonome par rapport au religieux et donc laïque, réformatrice et entreprenante, et la seconde sur qui pèsent la pauvreté, le chômage et l’absence d’avenir, tentée de se réfugier dans des traditions passéistes. Faut-il rappeler que les mouvements de protestation de 2011 sont partis de Sidi-Bouzid, bourgade pauvre du centre ?

La « tunisianité » apparaît donc comme la recherche continue d’un équilibre entre deux choix de société, deux conceptions de l’identité. C’est en tout point l’impression qu’on peut retirer du livre de Sophie Bessis. La vérité des faits est toujours tempérée par les interrogations sur les interprétations, en toute indépendance. L’auteur ne se fait le thuriféraire de personne, ni d’un Bourguiba, ni d’un roman national, ni d’une religion, ni d’une classe sociale, qu’elle soit dominante ou dominée. Cette mise en question permanente constitue toute la saveur du livre, et ravive ainsi l’intérêt du lecteur pour cette Tunisie qui, décidément, détonne par son autonomie dans le paysage d’un Proche-Orient bouleversé.

Claude Popin

 

Note de la rédaction

[1] Sophie Bessis, franco-tunisienne, s’est consacrée à l’étude des relations Nord-Sud et plus spécialement à l’Afrique subsaharienne et au Maghreb, ainsi qu’à la condition des femmes dans le monde arabe. Elle est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages dont une biographie de Bourguiba écrite avec Souhayr Belhassen, ICI et Les valeureuses : cinq tunisiennes dans l’histoire, ICI.

Sophie Bessis était l’invitée – avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS –  des Matins d’été de France Culture, le 26/07/2019 sur la situation de la Tunisie, au lendemain de la mort de son président, Béji Caïd Essebsi (92 ans) ; cliquer ICI (durée : 36 mn)