Titre
Géopolitique du MarocAuteur
Kader A. AbderrahimType
livreEditeur
Paris : BiblioMonde, oct. 2018Collection
Géopolitique ; 1Nombre de pages
118 p.Prix
12, 80 €Date de publication
3 septembre 2019Géopolitique du Maroc
Ce petit livre de 118 pages truffé de résumés sur les points chauds du pays et de croquis de position illustrant en particulier le « dossier saharien » intéressera le lecteur profane en quête de savoir de base, autant que le connaisseur averti du Maroc. C’est à la fois un raccourci des données de base pour la compréhension du pays (avec une chronologie partant du temps présent et remontant loin en arrière) et une leçon de science politique sur la position du Maroc dans l’échiquier du monde contemporain.
De plus, l’auteur[1] résume l’essentiel du jeu politique fondé sur la cohabitation conflictuelle entre la sphère parlementaire partisane (ré-habillée par la constitution de 2011) et l’État profond incarné par le makhzen,[2] le vieil appareil étatique qui reste le levier d’exercice du pouvoir privilégié par le roi : une « démocratie en trompe l’œil ».
L’auteur affirme avec justesse que le Maroc « est un pays qui change vite, mais évolue peu » (p. 58). Il pointe la révolution anthropologique initiée par la chute du taux de fécondité à 2,2 enfants par femmes (France : 1,9). Le Maroc devient un pays d’immigration (depuis l’Afrique noire), après avoir essaimé dans le monde une diaspora de plus de quatre millions d’individus. Il insiste sur la diplomatie royale qui cherche en Afrique subsaharienne une alternative à l’Europe qui se dérobe depuis le refus signifié par Bruxelles à l’entrée du Maroc dans la CEE postulée par Hassan II en 1984. Il opère un parallèle intéressant avec la Turquie d’Erdogan : même jeu subtil de rapprochement et d’éloignement entretenu avec l’Europe et convergence idéologique entre le PJD (Parti de la Justice et du Développement) et l’AKP (Adalet ve Kalkinma Partisi) tous deux partis de gouvernement islamo-conservateurs. Il privilégie, bien sûr, la question du Sahara occidental (ex-espagnol), dont il présente les composantes historiques et juridiques et relève la charge émotionnelle explosive. Le Maroc mis au pilori par la communauté internationale après la « marche verte » de 1975 claque la porte de l’Union Africaine en 1984, mais vient de la réintégrer en 2016 grâce à l’obstinée politique panafricaine du souverain Mohammed VI et de son avisé conseiller Taïeb Fassi Fihri.
Quelques ombres au tableau : plus de précisions sur le rapprochement récent de Rabat avec la Chine[3] et la Russie eût été souhaitable, en abordant chiffres à l’appui les données des relations commerciales. Et surtout un développement sur la course aux armements entre le Maroc et l’Algérie s’imposait et non pas seulement une allusion.
On regrettera de même des erreurs ponctuelles : par exemple Abraham Serfaty, le « Mandela marocain » sous le règne de plomb de Hassan II, n’a pas été incarcéré dans le terrifiant bagne mouroir de Tazmamart, mais dans la prison de Kenitra où il pouvait lire et s’entretenir avec ses camarades de l’ultragauche détenus.
On discutera enfin certaines assertions : si 1925 fut bien au regard des Marocains l’« année du Rifain», la république d’Abdelkrim al-Khattabi tient beaucoup du mythe. L’émir rifain rêvait de rétablir le califat ottoman rayé d’un coup de plume en 1923 par Mustafa Kemal bien plus que d’instaurer une « ripublik », un mot qui lui fut soufflé par ses conseillers étrangers.
Ce sont là des broutilles au regard d’un guide fort bien agencé pour introduire à la compréhension du Maroc contemporain.
Daniel Rivet [4]
[1] Kader A. Abderrahim est maître de conférences à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris et directeur de recherches à l’Institut de prospective et de sécurité en Europe (IPSE). Son champ de recherche porte sur les systèmes politiques dans le monde arabe, l’islam politique et la géopolique du Maghreb. Il est notamment l’auteur de Daech : histoire, enjeux et pratiques de l’Organisation de l’Etat islamique.- Eyrolles, 2016
[3] Sur le développement des relations bilatérales sino-marocaines mais aussi des migrations chinoises au Maroc, on pourra lire l’article de Jean-Pierre Taing : Les nouvelles routes de la soie au prisme des migrations : les visages de la présence chinoise au Maroc, dans le n°109 (été 2019) de la revue Confluences Méditerranée sur La Chine : nouvel acteur méditerranéen, dont la recension sera faite prochainement sur notre site ; cliquer ICI
[4] Professeur émérite à l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, Daniel Rivet a enseigné l’histoire contemporaine à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Rabat de 1967 à 1970 et à l’université Lumière-Lyon 2. Parmi ses livres, signalons son Histoire du Maroc : de Moulay Idrîs à Mohammed VI dont on pourra lire la recension sur notre site, en cliquant ICI.