Titre
Retours d’histoireSous titre
L’Algérie après BouteflikaAuteur
Benjamin StoraType
livreEditeur
Montrouge : Bayard, 2020Nombre de pages
168 p.Prix
16,90 €Date de publication
30 mai 2020Retours d’histoire
Cet opuscule pourrait s’apparenter à « l’histoire immédiate », tant il traite d’une actualité qui alerte tous les observateurs de l’Algérie. Le 22 février 2019, un vaste mouvement, populaire et pacifique, obtient le renversement du Président Bouteflika et réclame un changement de régime. Du jamais vu ! Ecrire à chaud et quasiment en direct, sur des événements et une histoire dont on ne connaît pas la fin, « c’est un exercice difficile », reconnaît Benjamin Stora. Lui, qui depuis plus de quarante ans, est un fin connaisseur de l’histoire et de l’évolution de l’Algérie1, réussit pourtant un petit livre, passionnant à lire, mais dense et synthétique, à la limite de l’analyse politique et de l’histoire, l’une ne pouvant se comprendre sans l’autre.
Pour Benjamin Stora, le « hirak » (le mouvement) algérien est bien une révolution qui a réalisé ce qu’aucun soulèvement n’avait obtenu jusque-là : le départ du président. Ce sera désormais : « l’Algérie après Bouteflika ». L’auteur estime, comme d’autres historiens, que le mouvement actuel porte en lui les réexamens des héritages du passé. Parmi d’autres, on en retiendra trois principaux.
Le premier, c’est la confiscation du pouvoir par l’armée. « Dès l’indépendance, ceux qui avaient les armes, à l’intérieur comme à l’extérieur, ont estimé que l’Algérie était à eux. Ils ont enlevé l’indépendance et la souveraineté au peuple algérien », écrit Mohamed Harbi, cité par Benjamin Stora. Le deuxième tient à l’erreur de modèle économique étatique, prôné dès l’ère Boumediene : les richesses des hydrocarbures profiteront à une oligarchie (et à la corruption), pas au peuple. Le troisième découle de l’esprit nationaliste de la guerre d’indépendance : fédérer un immense territoire pour qu’il soit « algérien » a eu sa contrepartie dans la répression des minorités (ethniques, linguistiques, religieuses ou politiques) et l’instauration d’une bureaucratie étouffante sous la férule de l’armée. Dans aucun des trois cas cités, le peuple n’a eu son mot à dire. On comprend mieux l’aspiration à la démocratie que porte le « hirak ».
L’itinéraire politique de Bouteflika, que l’auteur suit au cours de plusieurs chapitres, montre à quel point l’homme a incarné ces héritages. Très lié à Boumediene, il a cautionné la prédominance du parti unique et l’appropriation de l’économie qu’il a érigée en modèle pour les peuples qu’on disait alors « du tiers-monde ». Grand moment où l’Algérie apparaissait comme le leader des pays émergents. Mais, pendant ce temps, les fractures internes se passent à huis-clos. Il faudra attendre les émeutes des jeunes (1988), la terrible décennie noire des années 1990 et la révolte kabyle (2001) pour révéler le malaise profond d’un pays sous la tutelle de ceux qui ont incarné l’indépendance. Au pouvoir suprême depuis 1999, Bouteflika, diminué physiquement, n’a pu que figer le pays sous la surveillance de la caste militaire.
Benjamin Stora indique dans sa conclusion : « Je veux montrer dans cet ouvrage, en faisant retour sur la longue durée, que ce dit ‘mouvement populaire’ s’inscrit dans la tradition politique de l’histoire de la nation algérienne. » Le « hirak » n’est donc pas nouveau, les luttes pour le pouvoir sont de toujours. Certes, mais l’inédit, c’est que pour la première fois, le pouvoir a cédé et que s’affirme, dans les foules, une exigence de démocratie. C’est bien une révolution2.
Reste que des questions, nombreuses, se posent pour le futur, cette « Algérie après Bouteflika ». Quel « contre-pouvoir » peut représenter ce mouvement, qui reste impressionnant par sa durée et son pacifisme, mais qui ne fait émerger aucune figure politique, ni aucun programme structuré ? Tiraillée entre des mémoires douloureuses et des forces internes longtemps opprimées, la voie démocratique, réclamée par le « hirak », aura-t-elle la force nécessaire pour préserver l’unité nationale et « faire nation » ?
La lecture de ce petit livre va permettre de suivre, avec de nouvelles clefs de compréhension et une attention plus aiguisée, la suite des événements d’Algérie.
Claude Popin
Notes de la rédaction
1 Benjamin Stora est un historien majeur du XXe siècle et l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Algérie et l’histoire du Maghreb dont La gangrène et l’oubli : la mémoire de la guerre d’Algérie ; Les trois exils : Juifs d’Algérie ; C’était hier, en Algérie ; Les mémoires dangereuses . Il a présidé le conseil d’orientation du musée national de l’histoire de l’immigration.
2 Sur le hirak, voir le film : Algérie, mon amour, documentaire inédit de Mustapha Kessous (70 mn), diffusé sur France 5, mardi 26/05/2020, à 20h55.