Titre

Révolutions et contre-révolutions dans le monde arabe

Auteur

Institut de Recherche et d'Études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO) ; Jean-Paul Chagnollaud, directeur de la revue ; Pierre Blanc, rédacteur en chef

Type

livre

Editeur

Paris : L’Harmattan, 2021

Collection

Confluences Méditerranée ; n°115

Nombre de pages

194 p.

Prix

21,00 €

Date de publication

19 octobre 2021

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Révolutions et contre-révolutions dans le monde arabe

“Dix ans déjà !” Cet incipit du premier article de Pierre Blanc, rédacteur en chef de la revue Confluences Méditerranée, donne le ton à l’ensemble du dossier de ce numéro de l’hiver 2020. Mais il ne s’agit pas seulement de raconter l’histoire ou de commémorer les soulèvements qui se sont produits dans le monde arabe “avec une soudaineté et une vigueur telles que des pouvoirs ont vacillé et que d’autres ont même été emportés” à partir de 2011. Ce qui n’aurait pu être qu’une “révolte”, de courte durée, s’est avéré une “révolution”, sur un temps long et loin d’être achevée. Ce dossier apparaît donc comme un rapport d’étape, et non comme une histoire terminée.

Les premières contributions donnent la parole aux analystes, politologues et historiens, chacun livrant ses grilles de compréhension. La trompeuse apparence d’unité, que constitue la religion musulmane commune, cache une pluralité de situations qu’il est nécessaire de connaître pour comprendre pourquoi cette “révolution” a réussi, partiellement, en Tunisie, n’a touché qu’avec retard une Algérie figée ou un Liban fragilisé, a dérivé vers des guerres civiles (Lybie, Syrie ou Irak), a été reprise en main par des autorités et des méthodes différentes (Maroc, Jordanie ou Egypte) ou a été quasi-inexistante (péninsule arabique). On en retiendra cette évidence que “le monde arabe est pluriel”.

Chaque pays concerné fait l’objet d’un ou plusieurs articles, illustrant, par l’histoire, les analyses précédentes. Le lecteur y perdra vite quelques idées reçues véhiculées par les médias occidentaux. “Printemps arabes” ? Cette fausse métaphore temporelle a masqué bien des différences et des particularités. On a voulu y voir une aspiration commune à la liberté et la démocratie. Or, la priorité de ceux qui ont manifesté – et qui manifestent encore – est avant tout d’ordre économique et social : le chômage endémique des jeunes, entraînant pauvreté et misère sans perspective d’avenir, a largement alimenté la révolte contre des pouvoirs prédateurs et corrompus. D’où l’exigence de changer le système politique, ce qui est bien “une révolution”.

Les exemples les plus frappants sont ceux des pays de “légitimité charismatique” (Tunisie, Syrie, Liban, Égypte, Lybie, Irak, Algérie) où les régimes ont été confisqués, dès leur indépendance, par des clans, familles ou partis politiques qui ont débouché dans des pratiques dictatoriales au service de leur propre pouvoir, favorisés souvent par une rente pétrolière qui a permis d’acheter un semblant de paix sociale… D’autres “légitimités dynastiques et traditionnelles”, comme la Jordanie, le Maroc ou celles de la péninsule arabique, ont été moins contestées ou ont su trouver des parades politiques. Ces deux catégories de situation des pays, utilisées par le sociologue allemand Max Weber, doivent être complétées par d’autres paramètres pour saisir toute la complexité de la situation actuelle : ressources, mémoire historique, degré de corruption, etc.

D’autres idées reçues sont mises à mal quand il s’agit des stratégies utilisées pour réussir cette “révolution”. Plusieurs contributeurs évoquent avec force le caractère non-violent des différentes manifestations, depuis la Tunisie de 2011 jusqu’au Hirak de l’Algérie de 2019. Le très beau texte du poète algérien Amin Kahn, en fin de dossier, souligne bien l’énorme fossé qui sépare aujourd’hui les aspirations de tout un peuple et un régime qui s’accroche à ses privilèges. Si violence il y a eu, c’est la répression contre-révolutionnaire des pouvoirs en place qui est apparue, comme en Syrie ou en Libye. C’est aussi celle de groupes radicaux qui divisent profondément le monde de l’islam : Daesh ou le sunnisme intransigeant des Séoud, face aux milices chiites soutenues par l’Iran, tels le Hezbollah au Liban, le clan Assad en Syrie, les Huttistes au Yemen, etc. La contre-révolution rassemble ainsi des régimes disparates qui savent objectivement lier leurs intérêts quand ils se sentent menacés.

Et que dire des données géopolitiques, des interventions étrangères directes de la Russie et de la Turquie, et indirectes parfois contradictoires des diplomaties occidentales ? Que dire des Droits de l’Homme en Syrie ? Que dire encore des ambitions des Émirats sur la région ? Et comment le nouvel État égyptien prépare-t-il les jeunes à être de “bons contre-révolutionnaires” ? (seul article en anglais1).

La lecture de ce dossier ouvre ainsi tout un éventail de points de vue, d’analyses, de précisions historiques, économiques, sociologiques, géopolitiques. Bref, voilà un document, aussi utile que nécessaire, pour qui s’intéresse à l’actualité du Proche-Orient et du monde arabe2.

Claude Popin3

Membre de CDM

Notes de la rédaction

1 The making of good Egyptian youth : youth policy and authoritarian reconfiguration / Farah Ramzy

3 Claude Popin est l’auteur de nombreuses recensions pour notre site et notamment des Actes du colloque de CDM, à Marseille, en nov. 2016 sur l’Algérie : Paroles d’Algérie

Sur l’Algérie, voir aussi les livres présentés dans nos plus récentes recensions : L’Algérie en 100 questions : un pays empêché / Akram Belkaïd ; France-Algérie : résilience et réconciliation en Méditerranée / Boris Cyrulnik et Boualem Sansal ; Chrétiens en Algérie : un grand signe de fraternité / Bernard Janicot ; L’Eglise et les chrétiens dans l’Algérie indépendante / Jean-Robert Henry et Abderrahmane Moussaoui, éd. ; en collaboration avec Barkahoum Ferhati, Rémi Caucanas…; Algérie, la nouvelle indépendance /Jean-Pierre Filiu ; Retours d’histoire : l’Algérie après Bouteflika / Benjamin Stora ; Géopolitique de l’Algérie / Kader A. Abderrahim ; La cinquième mascarade /Youcef Zirem ; Voyage d’Alger /Maya Boutaghou ; Le soulèvement algérien : dossier de la Revue Esprit, n° 455, 2019… etc.

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