Titre

Voyage d’Alger

Auteur

Maya Boutaghou

Type

livre

Editeur

Alger : Aframed éditions, mai 2019

Nombre de pages

203 p.

Prix

10 €

Date de publication

9 décembre 2019

Voyage d’Alger

Interrogée, lors du récent Salon International du Livre d’Alger (SILA 2019, 30/10-09/11), sur les raisons qui l’avaient amenée à écrire Voyage d’Alger, son premier roman, Maya Boutaghou[1] a répondu : « J’ai juste voulu parler de cet Alger qui m’habite encore même si je n’y vis plus depuis longtemps. J’ai voulu décrire cette ville que j’aime beaucoup et y faire vivre ou revivre mes personnages […]  J’ai voulu aussi parler de ce quotidien de femme qui se bat pour gagner sa place dans la société […] mais sans pour autant faire dans la victimisation ou le drame car le problème de “citoyenneté” touche tout le monde. »[2]

Ce roman est aussi un documentaire qui nous plonge dans la réalité de la vie de jeunes universitaires – étudiant(e)s ou enseignant(e)s – d’Alger dans les années 1990, années noires.  C’est, en quelque sorte, une photographie de ces jeunes, de leur mode de vie, de leurs relations interpersonnelles ou familiales, restituée très spontanément dans un style parlé comme si les conversations retransmises avaient été enregistrées. L’auteur s’en explique : « Je voulais que mon lecteur y retrouve ce français algérianisé, ce parler algérois, ce bilinguisme, ces expressions bien de chez nous que seul un éditeur algérien pouvait comprendre. »[3]  

Le personnage principal, Lamia Mohend, – 35 ans, enseignante à l’université de Toulouse revient à Alger avec, justement, le projet d’un livre de photos ! Ce sera aussi, pour elle, un prétexte pour associer à ce projet un ami de la Fac, Sofien Hocine, qu’elle retrouve après quelques années, et avec qui elle va reprendre des relations amoureuses. Mais la mère de Sofien « jugeait Lamia trop occidentalisée » (p.95).

Tout au long du livre, on sent une grande complicité entre Maya Boutaghou, universitaire elle-même, et cette jeunesse qui rêve d’aller à Paris (p. 41), « comme si c’était facile d’aller vivre en France ! » (p.61). Elle est bien placée pour exprimer les aspirations des jeunes (p. 40-41), et l’attrait exercé par la France sur de jeunes universitaires d’Alger (p. 157).

Ayant travaillé sur  Le dialogue des extrêmes : les femmes en Algérie entre tradition et modernité[4], elle décrit au plus près la condition des femmes et leur aspiration à la liberté (p. 175-176, p. 183)[5]. Elle montre bien comment les études ont favorisé l’émancipation des femmes de sa génération, et les libertés que beaucoup prennent par rapport aux contraintes imposées par l’islam (Sofien et Lamia boivent du vin (p.87) ; ils sont arrêtés par la brigade des mœurs (p.89) ; Lamia et Sofien vivent ensemble sans être mariés, mais les parents de Lamia « comme tous les parents algériens, préféraient ne pas le savoir clairement. » (p. 169-170). Quant aux « filles en hijab qui marchent bras dessus bras dessous avec leur copain […], il ne faut pas croire que c’est par conviction, elles sont obligées de porter le voile pour pouvoir sortir. » (p.132).

Maya Boutaghou garde aussi sa liberté de critique par rapport à la classe politique, à la situation de l’Algérie, et au « bilan désastreux du pays » (p. 118) ; elle parle de « dérèglement social (p. 166) et évoque  Alger, « engrangeant dans son enceinte de plus en plus étendue, les populations des régions voisines, condamnées à la misère par une situation d’urgence permanente depuis le début des années 90. » (p.169). Quand va commencer la décennie noire…

Lamia sera révoltée par l’attitude des policiers lui interdisant de «  faire des photos dans des quartiers de bâtiments officiels » (p.138) et dira : « j’avais oublié qu’on n’était pas dans un pays libre. » (p.139).

Aujourd’hui, en décembre 2019, des jeunes défilent chaque vendredi depuis février, à la fois massivement et pacifiquement[6]. Ils ont obtenu le départ du président Bouteflika mais demandent la fin de ce régime : ils réclament une vraie démocratie, veulent trouver leur place dans ce pays et être entendus : leur espérance ne répond-elle pas à l’inquiétude éprouvée par Lamia, en dernière page de ce « roman » ?[7]

Nicole Girardot

 

[1] Maya Boutaghou, docteur en littérature comparée de l’Université de Limoges, est  Assistant Professor dans le département de français de l’Université de Virginie (USA) où elle enseigne depuis 2008 la littérature comparée (arabe et français). Elle a publié de nombreux articles sur le monde arabe et la francophonie, et, en France, en 2016, un essai : Occidentalismes, romans historiques postcoloniaux et identités nationales au XIXe siècle.

[2] Lire son entretien avec l’éditrice et auteure, Samira Bendris Oulbsir, dans le quotidien Liberté Algérie, le 16-11-2019

[3] Maya Boutaghou suscite l’intérêt du lecteur en jouant sur plusieurs registres : documentaire, fiction, autobiographie…   Très ponctuellement, sont introduits dans le récit, des passages – signalés par les caractères en italique -, qui, tous, concernent Lamia et dénotent un souci de construction et d’écriture littéraires (cf. pp. 38 ; 72-73 ; 134-135 ; 148 ; 179-180 ; 199 ; 203). Le style parlé, c’est, en quelque sorte, la photo = le documentaire ; le style littéraire (en italique), c’est le roman avec le commentaire intérieur de l’auteur qui se livre et parle d’elle-même, à travers Lamia.

[4] Sujet de son intervention à l’Université d’hiver de Chrétiens de la Méditerranée, à Marseille (24-26/11/2016) dont on peut encore commander les Actes, intitulés Paroles d’Algérie.

[5] Actuellement en salle, le film Papicha, de la cinéaste Mounia Meddour, illustre bien cette même aspiration à la liberté de ces étudiantes en cité universitaire qui se battent pour vivre libres dans l’Alger des années 90 !

[6] A lire : Le soulèvement algérien : dossier de la revue Esprit, n° 455, juin 2019. Regarder aussi le documentaire d’Arte sur le Hirak en Algérie, 30/04/2019 (durée : 25 mn). Définition du  Hirak.

[7] Le roman Voyage d’Alger est disponible en France. Les lecteurs qui veulent se le procurer, peuvent le commander au prix de 10 € (+ 5€ pour les frais de port) auprès de la société GéoBuzz : tél : 07 61 42 28 23 et adresse de messagerie : geobuzz@free.fr