Titre

Paroles d’Algérie

Sous titre

Actes de la 4ème Université d’Hiver 

Auteur

Chrétiens de la Méditerranée (sous la direction de)

Type

livre

Editeur

Plaisir : Chrétiens de la Méditerranée, Avril 2017

Nombre de pages

267 p.

Prix

10 €

Date de publication

24 octobre 2017

Paroles d’Algérie

Le recueil des Actes d’un colloque n’est pas, en général, d’une lecture attrayante : on craint le disparate et la juxtaposition. Rien de tel avec ces « Paroles d’Algérie », fruit de la 4ème Université d’Hiver de l’association « Chrétiens de la Méditerranée », à Marseille en novembre 2016. Cela tient sans doute à la qualité des intervenants et à la volonté des organisateurs de donner exclusivement la parole à des femmes et des hommes d’Algérie. On y a moins parlé de l’Algérie abstraitement, que rencontré des Algériennes et des Algériens, engagés dans le concret de leur vie de citoyens d’aujourd’hui. Qu’ont-ils donc à nous dire sur leur pays, géographiquement et historiquement si proche de nous ?

Deux professeurs d’université, sociologue et économiste, dressent d’abord un état des lieux de l’Algérie après soixante-cinq ans d’indépendance. Critiques vis-à-vis des médias occidentaux qui renvoient souvent une image brouillée de leur pays, ils ne le sont pas moins pour souligner les difficultés d’aujourd’hui, inhérentes à une explosion démographique mal maîtrisée et à des erreurs économiques : « La rente pétrolière a servi davantage à acheter la paix sociale qu’à favoriser le développement ». Mais on sent que l’Algérie est pleine de potentialités qui ne demandent qu’à être libérées.

De quoi, ou de qui, est faite l’Algérie d’aujourd’hui ? C’est le biais de la culture qui va donner des clefs originales de compréhension. D’abord, deux grandes figures du patrimoine spirituel et humaniste de l’Algérie : Saint Augustin, aux IVe et Ve siècles, et Abd El-Kader au XIXe siècle. Puis, c’est la persistance d’une personnalité algérienne, depuis Rome, Carthage, la Numidie de Jugurtha et l’installation des Berbères jusqu’à  l’irruption de l’islam, arabe d’abord puis ottoman. Et c’est enfin la longue évocation des écrivains d’expression française qui se sont servis paradoxalement de la langue du colonisateur pour affirmer leurs algérianité : Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Mohamed Dib, Assia Djebar, sans oublier Albert Camus et les Amrouche dans leur berbérité. La vitalité de cet appétit d’expression ne se dément pas, si l’on considère le nombre d’éditeurs, de Centres de Documentation et d’Associations comme Le petit lecteur[1] d’Oran… On notera au passage que le cinéma algérien n’est pas oublié, en particulier Lakhdar Hamina, primé au Festival de Cannes en 1967[2].

Originale encore, cette tribune de sept femmes pour dire la condition féminine, les pesanteurs sociales, les non-dits, les résistances. Cela commence par « avoir des mots pour dire les maux ». Mais pas de lamentations. Ces femmes sont des résistantes, au nom d’un humanisme qu’elles affichent dans leurs engagements, professeurs d’université, écrivaines, enseignantes, éditrices de revues d’éducation féminine (comme Hayat[3] ) militantes (comme celles du Planning Familial ou ces manifestantes contre l’extraction du gaz de schiste à In-Salah dans le sud.)  Maïssa Bey et Karima Berger, tour à tour, ont magnifié l’humanisme d’Assia Djebar, historienne, romancière et élue à l’Académie Française. Si elles ont les mots pour le dire, elles ne s’en privent pas et n’esquivent aucun sujet, que ce soit la sexualité, l’éducation, l’émancipation de la tutelle masculine ou la mainmise insidieuse de l’islamisme.

On lira encore, dans ce colloque, des paroles de jeunes, tiraillés entre les contraintes sociales et familiales du pays et leur désir de partir. Et des paroles de croyants. Celles de chrétiens, vivant en Algérie où ils proposent des plates-formes de rencontres, comme le CDES d’Oran (Centre de Documentation Economique et Sociale[4]) ou le site de Tibhirine devenu « icône de fraternité entre croyants ». Celles aussi de Ghaleb Bencheikh, analysant une société algérienne façonnée par l’islam tout autant que l’Algérie avait façonné « un islam apaisé, débonnaire et de tradition d’accueil ». Tout a changé quand on a commencé à céder « aux sirènes de l’islamisme », à importer un islam wahhabite « qui a fait beaucoup de tort aux Algériens. »

Tous ces textes, côte à côte, analyses, témoignages percutants ou émouvants, sont unifiés et traversés par une vitalité qui se découvre à chaque intervention. Certes, la situation politique chaotique qui persiste en Algérie et la mémoire sous-jacente des blessures de notre histoire commune, sont restées en arrière-plan. Peut-être était-il plus important de se mettre à l’écoute des Algériennes et des Algériens eux-mêmes, dans leur diversité sociale, culturelle et religieuse, dans le dynamisme de leur jeunesse et l’énergie d’une société civile consciente de ses ressources et de ses capacités. « Paroles d’Algérie » et non « sur » l’Algérie.

Ces actes du colloque de Marseille[5] – qui conservent parfois la saveur du langage parlé des intervenants – constituent une lecture passionnante et revigorante pour qui cherche à mieux connaître et comprendre l’autre.

Claude Popin

 

[1] Visiter Le Petit lecteur d’Oran, association qui fait la promotion de la lecture et de la littérature enfantine et a créé une bibliothèque pour la jeunesse située dans un quartier défavorisé de la ville. Zoubida Kouti est membre fondateur et la responsable de l’association.

[2] Il obtint le Prix de la première œuvre pour son film Le vent des Aurès.

[3] Voir la  Présentation de la revue Hayat.

[4] Visiter le site du CDES d’Oran.

[5] Lire le sommaire et commander les Actes : 10 €