Titre

En mer, pas de taxis

Auteur

Roberto Saviano, trad. de l'italien par Vincent Raynaud ; avec des photogr. de Martina Bacigalupo, Olmo Calvo, Lorenzo Meloni,... [et al.]

Type

livre

Editeur

Paris : Gallimard, 2021

Nombre de pages

175 p.

Prix

25 €

Date de publication

15 août 2021

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En mer, pas de taxis.

C’est un livre coup de poing. L’auteur est coutumier du genre. Il a publié en 2006, le très fameux livre, Gomorra, sur la Camorra, tiré à 4 millions d’exemplaires, qui lui a valu de multiples prix, mais aussi d’être mis sous protection policière. Il s’est intéressé à la migration depuis des années, notamment lorsque le gouvernement italien a bloqué les entrées de migrants sur son territoire. Ce livre a donc pour cadre la politique italienne. Il s’adresse à ce contexte particulier en raison de la nationalité de l’auteur, mais il parle à tous les Européens.

L’organisation de ces pages est très originale puisqu’elle propose une alternance de textes et de photographies prises par des grands professionnels. La demande de photos sur les migrations en Méditerranée a commencé en 2011 peu après le printemps arabe avec la révélation des drames qui survenaient dans cette mer intérieure, qui est devenue une route de la mort (5 000 victimes en 2016, 2 000 en 2018).

Deux parties donc, complètement imbriquées, le texte et les photos.

Le texte d’abord. L’auteur introduit son sujet avec une longue analyse sous le titre “Le grand mensonge”. Par ces pages, il veut témoigner, c’est-à-dire dépeindre, raconter et “apporter avec son corps la preuve de ce qu’on affirme”. Mais ces témoins dérangent et on cherche à les écarter, à les décrédibiliser. Il en est de même pour les ONG qui travaillent à recueillir des migrants en perdition sur la mer : elles font l’objet de campagnes de dénigrement et de propagande négative. Suivent alors quelques récits et des interviews, notamment de photographes où l’on apprend la réalité de cette migration, l’horreur de ces bateaux où hommes et femmes sont entassés sans pouvoir bouger, la terreur des camps en Libye établis dans le cadre d’un accord signé entre Berlusconi et Kadhafi, le rôle des trafiquants qui demandent sans cesse plus d’argent aux familles. Un “petit manuel pour antiracistes”, démontant les propagandes anti-migrants, invite à une réflexion politique au beau milieu de ces observations (p. 123-129).

Les photographies ensuite. Les photos sont humaines, poignantes et magnifiques. Le photographe, qui est aussi un anthropologue, un artiste et un citoyen engagé, est un témoin crucial. Il enquête et raconte à sa manière en montrant la réalité de manière indiscutable. Tout est fait pour empêcher le photographe d’exercer son métier. Olmo Calvo a toujours voulu aller en Libye, ce qui lui a été refusé. Un photographe libyen a été tué dans une fusillade. Il était l’un des seuls à décrire la face cachée des conflits en Libye. Ce rôle de témoin est vital car le photographe est le seul à pouvoir documenter ce qui se passe. La photographie révèle une réalité à une opinion publique qui l’aurait ignorée.

C’est ce qui s’est passé avec Alan Kurdi, ce petit Syrien de trois ans, retrouvé mort sur la plage de Bodrum en Turquie, le 2 septembre 2015. La photo de cet enfant, habillé comme tous les petits Européens qui courent dans les rues de nos villes (p. 158 et 160), a ému toute l’Europe et a influencé les politiques, autant que celle de la petite Vietnamienne, Kim Phuc, fuyant les bombardements au napalm en 1972. Ces photos symboles sont nécessaires ; elles explosent à la figure des indifférents et forcent des déplacements et des décisions.

Ce livre raconte ainsi fortement par le texte et l’image comment ces traversées en mer sont une question de vie et de mort au sens plénier1.

La conclusion de ce volume est à la hauteur du contenu de ces pages, une condamnation sévère d’une Europe, infidèle à ses valeurs de dignité et de défense des droits de l’homme. L’Europe a peur. Et pourtant, une autre voie est possible.

Pierre de Charentenay

Institut catholique de la Méditerranée, Marseille (ICM)