Le dialogue interreligieux : une perspective chrétienne.

Praticien expérimenté du dialogue interreligieux, en particulier avec le bouddhisme, Dennis Gira a entrepris dans cet ouvrage d’essayer d’apporter des réponses à la fois lisibles et documentées à une dizaine de questions que peuvent se poser des personnes en situation de rencontre de croyants appartenant à d’autres religions :

Dire aux chrétiens qu’il faut qu’ils s’engagent dans le dialogue interreligieux, n’est-ce pas leur demander de changer de foi ?

Y a-t-il du vrai dans toute religion ?

Est-ce que toutes les religions se valent ?

Si les chrétiens sont convaincus que Jésus-Christ est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6), pourquoi devraient-ils dialoguer avec les autres croyants ?

Convertir les gens n’est-il pas plus important que de dialoguer avec eux ?

Les exigences du dialogue interreligieux n’excluent-elles pas la participation active de la plupart des chrétiens ?

A quelles sortes d’obstacles peuvent s’attendre les personnes qui se lancent dans le dialogue interreligieux ?

Existe-il une spiritualité capable de nourrir un chrétien engagé dans le dialogue interreligieux ?

Que faire quand ceux-là mêmes avec qui nous voulons dialoguer montrent peu ou pas d’intérêt pour notre proposition ?

Et vous, pourquoi avez-vous passé votre vie à dialoguer avec les bouddhistes ?

On le devine, il n’est pas possible de résumer les réponses apportées par l’auteur à ces diverses questions, traitées chacune dans un chapitre d’une vingtaine de pages. En revanche, le titre de l’ouvrage nous met déjà sur une piste : l’auteur s’efforce d’y répondre dans une perspective chrétienne, s’inspirant “d’abord des sources chrétiennes et surtout de la Bible”. Ce qui fournit l’occasion de revenir sur quelques grands textes fondamentaux du magistère de l’Église catholique : l’encyclique Ecclesiam Suam de Paul VI,¹ document fondateur de ce qui s’est développé au cours des années suivantes ; la Déclaration Nostra Aetate du concile Vatican II (1965)² dont le n° 2 disait que “l’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions” ; l’encyclique Redemptoris Missio de Jean-Paul II (1990)³ qui rappelait le devoir missionnaire de tout chrétien, mais rappelait aussi que l’Esprit-saint est à l’œuvre “dans l’histoire, les peuples, les cultures, les religions” ; quelques documents spécifiques du Magistère comme Dialogue et annonce, publié en 1991⁴ par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, etc. Revenir à ces textes fondateurs permet de réfléchir à partir de bases sûres.

L’autre intérêt majeur de l’approche privilégiée par l’auteur est de s’appuyer sur l’expérience : son expérience personnelle, bien sûr, marquée par des décennies de fréquentation du bouddhisme, mais aussi l’expérience d’autres témoins comme celle du prieur trappiste de Tibhirine, Christian de Chergé, dont les textes sont sollicités à plusieurs moments de l’ouvrage⁵. L’auteur n’offre donc pas de réponses en surplomb, coupées de l’expérience ; il s’efforce au contraire de prendre en compte les obstacles concrets sur lesquels on peut buter lorsque l’on s’avance sur ce chemin de la rencontre de l’autre croyant. Enfin, l’auteur s’appuie sur la réflexion théologique conduite depuis des années par des spécialistes comme Jean-Marc Aveline⁶, François de Béthune, Geneviève Comeau, Jacques Dupuis, Claude Geffré, Henri de la Hougue, Christian Salenson⁷, Michel Younès.⁸

Une des conclusions de l’ouvrage est que « le changement qui se produit au cours d’un vrai dialogue est de l’ordre d’un approfondissement, d’une purification ». Loin d’éloigner de sa propre foi, l’aventure de la rencontre avec des croyants d’autres traditions religieuses aboutit à un enracinement plus sûr, mais aussi plus dépouillé, dans ce qui fait le cœur de sa propre tradition religieuse. Au lieu de répéter des mots comme pour se rassurer, on habite des convictions qui ont fait leurs preuves dans un chemin de foi. Dans son encyclique Lumen Fidei de 2013⁹, le pape François écrit : “Le croyant n’est pas arrogant ; au contraire, la vérité le rend humble, sachant que ce n’est pas lui qui la possède, mais c’est elle qui l’embrasse et le possède. Loin de le raidir, la sécurité de la foi le met en route et rend possible le témoignage et le dialogue avec tous”.

La réponse aux dix questions posées conduit donc à une sorte de voyage à travers les joies et les écueils du dialogue interreligieux¹⁰. L’ouvrage n’a pas la prétention d’être un traité sur le sujet, mais plutôt d’offrir “quelques bases anthropologiques, théologiques et spirituelles” à quiconque est prêt à s’engager dans une aventure qui peut faire peur mais réserve pourtant beaucoup de belles découvertes. Invitation à un déplacement, un changement de perspective auquel invitait déjà le texte de Vatican II Gaudium et Spes¹¹ : “Le Saint-Esprit offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associés au mystère pascal” (n° 22, § 4). Voilà une approche qui ouvre, sans naïveté, un chemin bienveillant pour la rencontre.

Jean Jacques Pérennès op¹²

Notes de la rédaction