Heureux ceux qui se donnent : moines de Tibhirine : la vie donnée plus forte que la mort.

Ce deuxième ensemble de textes des moines de Tibhirine tourne autour du martyre. Il s’appuie sur une diversité de textes écrits par les moines et tirés de lettres aux familles ou aux amis, d’homélies, de journal personnel, d’interventions au chapitre, etc.

Cinq étapes successives amènent au cœur de l’événement majeur pour la communauté et pour toute l’Eglise d’Algérie : l’enlèvement des sept frères trappistes du monastère de Tibhirine en mars 1996, qui mènera à leur assassinat.

La première étape revient sur le principe du don qui est au commencement de tout. Elle revient sur l’idée fondamentale que la mort de tous les jours est l’équivalent du martyre. Les textes de cette partie qui datent de 1975 à 1990 montrent comment les moines sont bien conscients du lien entre la pratique de la vie monastique, le renoncement à sa volonté ou à ses désirs et le martyre effectif. C’est une mort du quotidien.

La deuxième étape comprend les années 1991-1993, intitulée “la mort à distance”. C’est le début des années noires de la violence lancée par le FIS,¹ qui vont faire régner la terreur. Les moines célèbrent les martyrs du passé, saint Justin² ou Paul Miki et ses compagnons³. Ils célèbrent l’homme vivant, c’est la bonne nouvelle. Pour Pâques, le frère Christian organise une réflexion sur la mort en martyr. Saint Paul le dit, mourir n’est pas un gain⁴, le martyre ne peut pas être un gain. Les menaces sur les étrangers se multiplient sur un fond de terrorisme. C’est à cette époque que le frère Christian rédige son testament.

La troisième étape, “la mort à leur porte” couvre les années 93-94 : l’ultimatum du GIA⁵ a expiré, c’est le début des assassinats de religieux étrangers. Le monastère est visité par le GIA à Noël 1993. On sent que la menace se rapproche. Le frère Christian développe une spiritualité du don et de l’amour. D’autres frères s’expriment, Célestin, Christophe, etc. Des questions surgissent. Faut-il rester alors qu’il y a tant de choses à faire ailleurs ? Est-ce du suicide ? C’est une immolation. Le Triduum pascal de 1994 est consacré au thème du martyre. Faut-il partir ? Mais un voisin leur répond : “Si vous partez, votre espoir va nous manquer et nous perdrons le nôtre”.

La quatrième partie, “le don plus fort que la mort”, est toute baignée des assassinats en 1994 de huit religieux et religieuses. C’est aussi dans la patience du quotidien qu’ils ont versé leur sang, selon l’adage soufi : “Ils n’ont pas attendu de mourir pour mourir”. Le frère Christophe écrit de nombreux textes très pertinents : “Je franchis la muraille, je franchis la mort ». Il faut rester, ce n’est pas du suicide, c’est un risque, car rien n’est inéluctable. Il n’y aurait aucun sens à aller ailleurs. Il n’y a pas d’ailleurs possible.

La cinquième partie consiste en la préparation communautaire au martyre.

Depuis le 8 mai 1994, onze religieux ont été assassinés. La pression se fait plus proche ; le frère Christian traite à plusieurs reprises, au chapitre, “du charisme du martyre” jusqu’en mars 1996. Il constate que nous avons simplement décidé de rester pour l’instant. Les moines vivent la stabilité et la constance, dans le cadre de la constitution de leur Ordre qui ne mentionne pas le martyre, comme but de la vie religieuse. Le frère Christian se révèle un grand théologien. Il se sent plus en affinité avec l’Imitation du Christ, plutôt qu’avec le martyre. Nous sommes des innocents exposés ; notre Ordre “a plus besoin de moines que de martyrs” a répété le Père Abbé Général.

Ces textes laissent transparaître une immense qualité de vie spirituelle de toute la communauté et de chacun de ses membres. “Il s’agit de demeurer sur terre, tout en ayant en vue les cieux”. La mort violente n’ajoute rien au dynamisme de l’incarnation et de la croix. La seule violence sensée est celle que nous imposons à notre volonté propre.

Ainsi se déroule cet extraordinaire périple vers le martyre tant débattu. Ce deuxième volume des Ecrits de Tibhirine nous le fait vivre à travers les yeux et le cœur des moines au plus près de leur engagement. La lecture de ces pages est une véritable retraite au plus profond de la vie monastique.⁶

Pierre de Charentenay

ICM, Chemins de dialogue

Notes de la rédaction