Titre
Le fondamentalisme islamiqueSous titre
Décryptage d’une logiqueAuteur
Michel Younès, dir. ; préface de Ghaleb BencheikhType
livreEditeur
Paris, Karthala, mai 2016Collection
DisputatioNombre de pages
222Prix
15 €Date de publication
15 juin 2018Le fondamentalisme islamique
Cet ouvrage collectif réunit les contributions d’auteurs qui ont participé aux réflexions engagées sur les fondamentalismes par l’Université catholique de Lyon (UCLy), et aux travaux de la journée d’étude organisée par cette université en mars 2015 sur le fondamentalisme islamique1. L’ouvrage est dirigé par Michel Younès, professeur de théologie et d’islamologie à l’UCLy, qui l’introduit et le conclut, tout en signant l’un des dix articles qu’il comporte2.
En analysant ce qui définit et caractérise le fondamentalisme islamique, l’ouvrage entend participer à un nécessaire diagnostic des processus de radicalisation qui ont affecté l’islam, et qui offrent un terreau à la violence djihadiste. Le fondamentalisme islamique est une réalité multiple et protéiforme qui n’est pas directement synonyme d’un islam terroriste, nous avertit le frère Emmanuel Pisani3. Il nous propose de distinguer entre deux notions : le réformisme islamique, qui prône un retour aux fondamentaux de l’islam, en aspirant à retrouver un âge d’or idéalisé, dont tout le contexte historique est écarté. Et un réformisme islamiste, qui revendique l’exercice du pouvoir sans médiation ni partage, et recourt à la violence contre tout ce qui est l’autre.
Plusieurs intéressantes études4, dont celle de Samir Amghar sur Le fondamentalisme comme salafisme et celles de Haoues Seniguer pour l’Égypte contemporaine et d’Ali Mostfa pour le Maroc, témoignent en effet de ce qu’un large arc fondamentaliste se déploie. Il s’étend des réformistes « quiétistes » préoccupés de purification et d’orthopraxie musulmane mais qui ne s’intéressent pas à la politique, aux salafistes – ou néo-salafistes, selon certains auteurs – engagés dans l’action politique, et aux djihadistes. Et pourtant, tous puisent dans une même « matrice idéologique » et présentent certains aspects communs.
Deux articles de Michel Younès et du père Maurice Borrmans5 analysent le lien étroit que les fondamentalistes musulmans entretiennent avec le courant spécifique de l’islam qu’est le hanbalisme, pour lequel le Coran, étant « incréé », ne peut être pris qu’à la lettre, sans ouvrir place à une interprétation ou à une lecture historique. Le hanbalisme, durci et diffusé au 13e siècle par Ibn Tamiyya, et repris au 18e s. par Abd al-Wahhab, est à l’origine du wahhabisme saoudien. Il lui fournit les bases d’un rigorisme sectaire, qui avec l’aide de la monarchie saoudienne a su se diffuser comme la nouvelle orthodoxie musulmane. Par son caractère binaire (excluant tout ce qui lui est différent), sa prétention à une immédiateté de la vérité, et son absolutisme s’étendant à tous les aspects de la vie, ce fondamentalisme prétend s’appliquer en tout lieu et en tout temps. Il impose une imitation absolue des « pieux ancêtres », sans considération de ce que fut l’histoire, ses contradictions et ses conflits au sein même de l’islam.
Une très intéressante étude de Bénédicte du Chaffaut décrit comment par ses fatwas, ses prescriptions juridiques, ce fondamentalisme entend régir au plus intime la vie des femmes musulmanes, au détriment de leur intégration dans les sociétés occidentales et malgré les efforts de quelques juristes musulmans européens plus conscients des impératifs de la modernité. Il se prête aux dérives sectaires de ceux qui veulent faire advenir dès maintenant la fin de l’Histoire, avec une violence extrême qui s’arroge les éléments de la puissance divine, en oubliant que le Coran la qualifie comme miséricordieuse.
Si les raisons ne manquent pas de redouter l’emprise exercée par le fondamentalisme, ce « suicide de la pensée » selon Ghaleb Bencheikh6, l’ouvrage nous donne toutefois quelques raisons d’espérer. La diversité même au sein du fondamentalisme, dans son rapport à la société et la politique, doit écarter tout jugement péremptoire et globalisant. Le fondamentalisme est lui-même le produit d’un réformisme musulman, dont d’autres courants sont toujours à l’œuvre. Ainsi de nouveaux penseurs de l’islam sont apparus, qui entendent conjuguer, à la manière d’un Mohammed Arkoun7, le Coran et la pensée, la démocratie et les libertés.
Déconstruire l’idéologie du fondamentalisme implique de se livrer à une étude contextualisée des fondements de l’islam, en mobilisant les ressources des sciences modernes, pour contrer les dynamiques mortifères qui sont à l’œuvre. C’est une entreprise de longue haleine ; cet ouvrage, d’une lecture parfois exigeante mais souvent stimulante, entend bien y contribuer.
Bertrand Wallon
1 Le Centre d’étude des cultures et religions (CERC) de l’UCLy compte poursuivre ses travaux sur les fondamentalismes juif et chrétien, indique l’introduction de cet ouvrage.
2 Michel Younès a également dirigé, avec Pierre Diarra, la publication des actes du colloque qui s’est tenu à Lyon et Paris en mai 2016, sous le titre : Dialogue interreligieux : quel avenir ? .- éd. Publications Chemins de dialogue, juin 2017 (cf. la recension sur notre site Chrétiens de la Méditerranée, en cliquant sur le lien du titre).
3 Le frère Emmanuel Pisani est directeur de l’Institut de Science et de Théologie des Religions (ISTR) de Paris, et directeur du MIDÉO, la revue scientifique de l’IDÉO, du Caire.
4 Ont contribué à cet ouvrage : Samir Amghar, Maurice Borrmans, Malek Chaieb, Bénédicte du Chaffaut, Philippe Dockwiller, Ali Mostfa, Emmanuel Pisani, Haoues Seniguer, Bertrand Souchard, Michel Younès.
5 Le père Maurice Borrmans (1925 – 26 décembre 2017), a longtemps enseigné à L’Institut Pontifical d’Études Arabes et d’Islamologie (PISAI) : en 1975, il a fondé la revue Islamochristiana et l’a dirigée jusqu’en 2004. Il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à l’islam et au dialogue islamo-chrétien.
6 Islamologue, théologien, philosophe, président de la Conférence mondiale des religions pour la paix,Ghaleb Bencheikh est producteur de l’émission Questions d’islam, le dimanche, de 7h05 à 8h, sur France Culture.
7 Mohammed Arkoun (1928-2010)