Charles de Foucauld, Louis Massignon, Christian de Chergé, trois témoins pour le temps présent. CR d’une conférence de Christian Salenson à Lyon.

Voici le compte-rendu réalisé par Bertrand Wallon de la soirée et de la conférence, “Charles de Foucauld, Louis Massignon, Christian de Chergé, trois témoins pour le temps présent”, donnée par Christian Salenson. Elle s’est tenue à Lyon à l’initiative des Amis de l’IDEO (Institut Dominicain d’Études Orientales) et a été coorganisée par Chrétiens de la Médierranée-Lyon.

 

Charles de Foucauld, Louis Massignon, Christian de Chergé :

trois témoins pour le temps présent.

Christian Salenson, Lyon, 1er avril 2022

Malgré la neige qui tombait ce soir-là sur la capitale des Gaules, nous étions une cinquantaine à Lyon le vendredi 1er avril, à l’invitation des Amis de l’Idéo et du réseau Chrétiens de la Méditerranée, pour écouter le père Christian Salenson1. Depuis plusieurs mois déjà nous l’avions invité à venir nous parler de ces trois chrétiens ayant changé en profondeur le regard porté par l’Eglise sur les musulmans au cours du XX siècle : Charles de Foucauld, Louis Massignon, et Christian de Chergé, auxquels il a consacré un très beau livre2.

La conférence s’est tenue au couvent des dominicains de Lyon, et a été introduite par le frère Rémi Chéno3 qui a passé plusieurs années au Caire comme secrétaire général de l’Idéo. En ouverture, le frère Rémi Chéno a souligné que la conférence allait porter sur trois personnes qui ont marqué l’histoire des religions et du dialogue interreligieux, mais que c’était aussi l’histoire très personnelle de trois conversions, intimes et profondes. A l’Idéo, a-t-il rappelé, les dominicains ne sont pas d’abord des religieux qui étudient l’islam mais des religieux qui, vivant au cœur de l’islam, en font une expérience forte qui peut les conduire à des approches nouvelles de la rencontre et du dialogue. On ne peut parler d’une autre religion de façon abstraite, c’est la rencontre d’un autre croyant qui peut ouvrir à la compréhension de sa religion. Le compte-rendu ci-dessous reprend quelques points abordés au cours de cette chaleureuse soirée.

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Le père Christian Salenson nous exposa d’abord la genèse de son livre, né de sa longue fréquentation des écrits, de la pensée et de la vie de Christian de Chergé4. Chercher les filiations de sa pensée par rapport à l’islam, c’était nécessairement remonter vers Charles de Foucauld, le “petit frère universel”, et Louis Massignon, le grand islamologue catholique, dont les écrits accompagnaient Christian de Chergé. Le lien entre ces trois hommes était donc au cœur de la conférence. Le chemin qu’ils ont tracé a transformé la manière dont les chrétiens peuvent désormais se rapporter à l’autre qu’est l’islam. Il renouvelle aussi la manière selon laquelle la mission peut être considérée : dans un nouveau rapport à l’autre, au pluralisme des croyances et de l’incroyance, à l’écologie, aux relations entre les hommes et les femmes. Ce renouveau du sens de la mission, allait former la conclusion de son exposé.

Trois personnes, trois conversions, nous précise d’abord C. Salenson.

De Foucauld, dans sa mission secrète au Maroc (1883-84) où, déguisé en juif marocain, il est astreint au silence, a pris “en pleine figure” l’islam, nous indique-t-il. La force de cette expérience de la foi des musulmans sera déterminante dans son chemin de conversion. Certes, marqué par son contexte culturel, celui de la colonisation, il ne comprend pas l’islam de l’intérieur, comme pourront le faire Massignon et de Chergé : il n’est pas “dans l’axe de l’islam” comme l’exprimera Massignon. Mais il vivra une grave crise intérieure 25 ans plus tard, en 1908, dans le désert algérien, qui sera sa “seconde conversion”. Missionnaire qui n’a converti personne, épuisé et malade, il est secouru par des femmes touarègues qui, malgré la sécheresse et la famine, trouvent du lait pour le sauver. C’est dans cette reconnaissance de sa dépendance à l’autre et de ce qu’il reçoit de lui, malgré la différence des cultures, des religions, des états de vie, que s’invente la “fraternité universelle” qui devient le cœur le plus intime de sa vocation.

Louis Massignon, premier disciple du frère Charles, dira aussi : “Nous avons reçu du désert la sommation de l’islam”. Pour lui, l’expérience qui déclenche sa conversion se déroule en 1908, à Bagdad. Les Alûssi, grande famille musulmane de Bagdad, veillent sur sa sécurité et sa santé alors que sa vie est en cause, et disent à son chevet la prière des mourants. Ce moment est déterminant pour Massignon, l’hospitalité deviendra un pilier de sa pensée. A travers cette expérience, puis la découverte du mystique musulman Hallaj (exécuté en 922 à Bagdad) à qui il consacrera sa thèse, Massignon considèrera que l’arabe est une langue de la Révélation, que l’islam fait partie du “rameau biblique” et qu’il porte “quelque chose qui vient de Dieu”. Immense islamologue, réhabilitant la mystique dans la tradition de l’islam, il exercera une influence déterminante sur de nombreux étudiants et chercheurs par son approche positive de l’islam : “On n’étudie pas l’islam de l’extérieur, on l’étudie de l’intérieur jusqu’à ce point vierge qui fait vivre les musulmans”. L’inflexion ainsi donnée au regard porté sur l’islam sera déterminante pour l’adoption des textes du concile Vatican II sur les autres religions5.

Quant à Christian de Chergé, c’est en Algérie que, jeune militaire, il voit son ami, le garde champêtre musulman Mohammed, donner sa vie pour sauver la sienne. Il va plus tard redéfinir sa vie monastique à Tibhirine comme une prière vécue avec d’autres priants de l’islam, “priant parmi d’autres priants”. Ce qui occupe sa pensée, c’est la communion des saints déjà réalisée en Dieu, la communion des hommes de bonne volonté, chrétiens, musulmans, juifs, dont Mohammed est déjà le signe concret. Une communion qu’il incombe à l’Eglise de vivre et incarner, ici et maintenant en terre d’Algérie, chrétiens et musulmans étant appelés à gravir chacun de leur côté l’échelle aux doubles montants qui s’élève vers Dieu.

On ne peut ni confondre ni séparer ces trois hommes, souligne C. Salenson. Ils se “nourrissent” les uns des autres, et tracent ensemble le chemin qui a fait sortir l’Eglise de l’idéologie coloniale vers une théologie de la rencontre, de la fraternité. Ce chemin renouvelle, pour C. Salenson, le sens de la mission. On ne convertit pas les autres, rappelle-t-il, c’est Dieu qui convertit. “On ne se convertit pas à une religion, on se convertit à Dieu dans une religion”. C’est la Visitation, Marie rencontrant Elisabeth, qui est l’image de la mission : “L’autre est porteur de quelque chose qui vient de Dieu, et moi aussi”. La mission est rencontre de deux grâces, où ce que porte l’autre trouve écho en moi. C’est dans la rencontre de l’autre que le chrétien peut comprendre la Révélation, dans une rencontre où “Dieu peut faire du neuf”.

Cette soirée avec le père Christian Salenson s’est poursuivie par un très vivant débat avec les participants, parmi lesquels le père Christian Delorme, témoin fraternel et engagé du dialogue islamo-chrétien dans le diocèse de Lyon.

Bertrand Wallon

Secrétaire général des Amis de l’Idéo

1 Prêtre du diocèse de Nîmes, Christian Salenson a été supérieur du séminaire inter-diocésain d’Avignon, vicaire général du diocèse de Nîmes et directeur de l’Institut de sciences et théologie des religions (ISTR) de l’Institut catholique de la Méditerranée (ICM), à Marseille.

3 Dieu au pluriel. Penser les religions /Rémi Chéno.- Cerf, 2017

4 Christian de Chergé, une théologie de l’espérance /Christian Salenson.- Bayard, 2009

5 Et, notamment, la Déclaration Nostra Aetate sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, promulguée le 28 Octobre 1965.

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Rappelons qu’une conférence de Mgr Claude Rault, évêque émérite de Laghouat, “Sur les traces de Charles de Foucauld”, sera donnée dans le cadre de l’AG de Chrétiens de la Méditerranée

le mardi 31 mai 2022 à 18h

Salle Dumont, 45 rue de la Glacière, 75013 Paris.

Elle sera également diffusée en visioconférence  (ID de réunion : 810 0137 9368, Code secret : 358671)

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