Sous titre
Petite théologie de la missionAuteur
Jean-Marc AvelineType
livreEditeur
Paris : Cerf, sept. 2023Nombre de pages
156 p.Prix
15 €Date de publication
24 décembre 2023“Dieu a tant aimé le monde” : petite théologie de la mission.
Ce petit livre s’ouvre par un long prologue (p. 9-48) qui est l’autobiographie de Jean-Marc Aveline1. C’est un bijou, à la fois spirituel et littéraire, et s’y révèle un extraordinaire don de conteur qui ne va pas nécessairement de pair avec la profondeur intellectuelle du philosophe et du théologien qu’il est, mais peut-être plus avec l’enracinement populaire dont il se réclame. Il vaut la peine d’écouter la substance de cette autobiographie : elle fait l’objet d’un documentaire d’Emmanuel Querry2.
Le texte théologique lui-même, Petite théologie de la mission, s’articule en trois temps : la mission comme dialogue de salut, la mission sur l’horizon de la promesse, et la mission dans la dynamique de la catholicité.
L’introduction donne la clé de la démarche, avec cet exergue que connaissent bien les auditeurs de Jean-Marc Aveline : la citation de la Première épître à Timothée, ch.2, v 4-6, “Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus”. A travers son expérience de l’enseignement théologique, l’auteur a pris conscience de la puissance de cette formule. D’abord, “la foi du Premier Testament affirme que Dieu est unique, qu’il a un projet pour l’humanité tout entière, que ce projet est un dessein de salut dont nul n’est exclu”. Après, s’affirme la nouveauté radicale du Christ, “venu partager la condition humaine en toutes choses excepté le péché, (…) envoyé trinitairement pour être médiateur entre Dieu et les hommes”. Ce qui rejoint l’enseignement johannique : “Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle” (Jean 3, 6-17, p. 51-52).
La théologie de Jean-Marc Aveline est expérimentale. Les développements successifs de ce fondement résultent chacun d’une prise de conscience. Engagé par son évêque dans le dialogue interreligieux, l’auteur réfléchit sur le sens du dialogue. Reprenant une expression de Paul VI, “le dialogue du salut”, il y voit “à la fois la révélation de Dieu et la mission de l’Église” (p. 55). Prise de conscience suivante, la mise en lumière par Jean XXIII de “la relation entre la foi chrétienne et la foi juive”, conduisant à “l’horizon de la promesse faite par Dieu à Abraham”. Troisième prise de conscience dont l’auteur dit qu’elle est encore en cours, celle de la catholicité de l’Église “à condition d’interpréter celle-ci de façon dynamique et vocationnelle” (p. 56). On devine qu’elle se développe à la mesure des responsabilités ecclésiales dont l’auteur se trouve progressivement chargé.
Dans chacune des trois parties, c’est toujours sur une expérience que s’appuie le développement réflexif. Le jeune aumônier de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) qu’il a été garde jusque dans la profondeur de sa réflexion le souci du “Voir”, premier temps de la démarche “Voir, Juger, Agir” de l’Action catholique :
Sur le dialogue de salut, il part donc d’une rencontre faite au Maroc sur le sens de la mission. Il y accueille l’expérience des deux survivants des moines de Tibhirine, alors dans la communauté de Notre-Dame de l’Atlas à Midelt : “l’essentiel de l’activité missionnaire consistait dans le développement de relations de voisinage” (p. 59-60). La réflexion se développe sur “l’engagement de Dieu” (p. 61), “les deux mains du Père” (p. 66) où c’est une théologie de l’Esprit saint qui est évoquée, et le fait de “confier l’Évangile” (p. 71), entre urgence et patience.
Sur l’horizon de la promesse, le point de départ est la conclusion de la partie précédente, se référant à Michel de Certeau et à un article de lui sur la “conversion du missionnaire”. Missionnaire, l’Église doit se convertir à la reconnaissance de ce qu’elle doit à la judéité, après des siècles d’hostilité et de méconnaissance. Il constate “le chemin parcouru” (p. 90), le caractère “d’héritiers en indivis” des deux fois juive et chrétienne (p. 96) et le rapport entre “mission et promesse” (p. 109). L’auteur conclut en rapprochant du rapport à la judéité la méditation de Christian de Chergé à propos de l’islam dans le dessein de Dieu (p. 113).
Sur la dynamique de la catholicité, enfin, apparaît l’importance du décentrement. “L’Eglise n’a pas le monopole de la Missio Dei (p. 118)”. La réflexion sur “universalité et catholicité” (p. 119) est nourrie de références bibliques. Sur le Christ et l’Église (p. 125), elle s’appuie sur Henri de Lubac, le grand prédécesseur dont Jean-Marc Aveline se réclame, et sur le témoignage de Pierre Claverie, l’évêque martyr d’Oran. Le rapport entre catholicité et fraternité (p. 133) s’appuie à nouveau sur Paul VI, le premier pape à avoir pratiqué la rencontre des cultures en sillonnant le monde.
Dernières notes conclusives (p. 136), la rencontre du pape François avec le Grand Imam d’Al-Azhar en 2019 à Abou Dabi3 et l’image de Charles de Foucauld4, personnalité à laquelle Jean-Marc Aveline est très attaché.
L’épilogue revient sur l’amour johannique, avec une dernière image frappante, celle de la vieille dame qui vient témoigner sa compassion pour les victimes d’un drame urbain qu’a connu Marseille. “Quand on n’a que l’amour” (p. 143) : encore faut-il l’avoir, et sa pierre de touche, c’est l’attention aux plus pauvres, la solidarité avec eux. L’Église ne pourra jouer son rôle de “sel de la terre” que si les chrétiens restent perméables “au levain des béatitudes et de l’amour fraternel” (p. 157). Le retour au titre “Dieu a tant aimé le monde” boucle ce livre, petit en taille, mais colossal par la richesse de vie qui s’y exprime et la lumière d’intelligence dont il rayonne.
Jean-Bernard Jolly
Administrateur et webmestre de CDM
1 Né en 1958 à Sidi Bel Abbès, Jean-Marc Aveline a été ordonné prêtre à Marseille en 1984. Docteur et professeur en théologie, membre du Dicastère pour le dialogue interreligieux, il a fondé et dirigé l’Institut de sciences et théologie des religions (ISTR) de Marseille puis l’Institut catholique de la Méditerranée (ICM). Le pape François l’a nommé archevêque de Marseille en 2019, l’a créé cardinal en 2022 et a accepté son invitation à venir à Marseille en 2023 dans le cadre des Rencontres méditerranéennes. Il est l’auteur de Bonjour Marseille !
2 La Méditerranée en mosaïque selon le cardinal Aveline, et le manifeste des théologiens en Méditerranée
3 Cf. La fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune : déclaration d’Abou Dabi / Pape François et Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb ; commentaires de Mgr Jean-Paul Vesco,… et du père Henri de La Hougue,….-Paris : Salvator, 2019
4 Cf. Les lumières d’un phare : Charles de Foucauld / Pierre Sourisseau.-Paris : Salvator, 2021 et Témoins de l’a-venir : Charles de Foucauld, Louis Massignon, Christian de Chergé /Christian Salenson, Marseille : Publications Chemins de Dialogue, 2021