Titre

Minorités d’Orient

Sous titre

Les oubliés de l’Histoire

Auteur

Tigrane Yégavian

Type

livre

Editeur

Monaco : Ed. du Rocher, oct. 2019

Nombre de pages

226 p.

Prix

14,90 €

Date de publication

25 août 2020

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Minorités d’Orient

Minorités d’Orient : les oubliés de l’Histoire est une étude géopolitique richement documentée sur la situation des chrétiens de l’Orient arabe (Liban, Égypte, Syrie, Irak, Palestine, Jordanie), ainsi que celle des Yézidis. En somme, des communautés toutes issues de l’Empire ottoman. L’auteur1 ne dresse pas seulement un état des lieux critique par zone géographique, il propose aussi un diagnostic minutieux des causes historiques qui ont conduit aux drames qui s’y déroulent. L’étude des faits, leur contextualisation et leur analyse se concluent par une réflexion prospective sur des voies d’avenir possibles.

L’auteur souligne que la question des minorités et la défense des chrétiens d’Orient ont toujours été et demeurent encore aujourd’hui des instruments diplomatiques entre les mains de puissances régionales et internationales. Hier, ces puissances étaient la France, le Royaume-Uni, la Russie et l’Allemagne. Aujourd’hui, s’ajoutent les États-Unis, l’Iran, l’Arabie saoudite, le Qatar et bien sûr la Turquie. L’impitoyable compétition que se livrent ces puissances étrangères dans les États nés du démantèlement de l’Empire ottoman pèse très lourdement sur les communautés chrétiennes et yézidies qui y vivent.

« L’année 2014 a vu les images des Yézidis du Sinjar ou des chrétiens de la plaine de Ninive fuyant les sicaires de l’État islamique, faire le tour du monde. […] Pour beaucoup, ces images ont été vécues et ressenties comme une répétition de 1915 », c’est à dire « le génocide des Arméniens, des Assyro-Chaldéens, des Syriaques2 et des Grecs pontiques perpétré par le gouvernement jeune turc et parachevé par le pouvoir kémaliste ». Entre ces deux époques, l’auteur observe que rien n’a changé : « Mêmes lieux, mêmes victimes, mêmes réactions timorées de la communauté internationale, même indignation impuissante face à la barbarie. » Seule variation, la médiatisation de « la tragédie diffusée en temps réel. » (p.14-15).

L’auteur dresse notamment un examen sans concession des responsabilités historiques de la France, qui s’était attribuée le rôle de “protectrice des chrétiens d’Orient” depuis le traité des Capitulations scellé en 1536 entre François Ier et le Sultan ottoman Soliman Ier. (p.96).

Le traité d’Angora, en octobre 1921, par lequel la France abandonna la Cilicie à la Turquie kémaliste, fut considéré comme une trahison (p. 117-118). En 1938, la cession par la France et encore une fois à la Turquie du Sandjak d’Alexandrette fut le dernier acte de cette tragédie, considérée par les chrétiens, « essentiellement arméniens », comme « une nouvelle trahison de leur protectrice » (p.123).

Aujourd’hui encore, l’auteur indique que les chrétiens syriens ne comprennent pas davantage la diplomatie française. Son propos se fait plus sentencieux lorsqu’il affirme que « la France ne pourra plus dans la conjoncture actuelle se projeter à nouveau dans cette région même si elle en avait l’ambition » (p.138), dénonçant au passage le cynisme « d’une émotion à géométrie variable » (p.92) et d’une raison d’État qui privilégie les « partenaires stratégiques et gros clients des industries d’armements de l’Hexagone ! » malgré les « ravages humanitaires causés par l’allié saoudien au Yémen ».

Le Royaume-Uni essuie les mêmes critiques, pour avoir notamment abandonné en 1925 les Assyriens, pourtant « enrôlés comme auxiliaires pour le compte des puissances occidentales qui leur faisaient miroiter le mirage d’un État indépendant, ou d’une autonomie, avant de les abandonner à une mort certaine. » (p.125-126)

Pour autant que soit incontestable et affligeante la culpabilité des criminels Jeunes-Turcs, de leur allié allemand et de leurs supplétifs kurdes dans la tragédie des chrétiens d’Orient en 1915-1917 ; pour autant que soient indiscutables l’abandon et la trahison des communautés chrétiennes orientales par les puissances occidentales dans les années 1920, l’auteur ne néglige pas « la part de responsabilité des élites minoritaires dans leur funeste destin » (p.129), par crédulité, absence d’anticipation et manque de sens politique. Dans le cas du Liban et de la guerre civile qui s’y est déroulée, « la responsabilité des chefs de guerre chrétiens confère à un suicide collectif » (p. 134).

Dans ce marasme humain et diplomatique, l’auteur souligne l’importance du “soft power”, tel que l’incarne une institution comme l’Œuvre d’Orient, pour soutenir non seulement la présence chrétienne en Orient, mais aussi promouvoir l’importance de la mixité confessionnelle et les « valeurs universelles du vivre ensemble prônées par la francophonie », grâce aux nombreuses écoles et organisations chrétiennes qu’elle soutient. (p.139)3.

Parmi les voies d’avenir possibles, l’auteur4 plaide la pleine citoyenneté des chrétiens d’Orient et la réforme des Eglises locales, avec l’aide de leurs diasporas, dont les réseaux peuvent servir à « panser les blessures d’une chrétienté martyrisée mais encore debout ».

Pascal Maguesyan5

Notes de la rédaction :

1 L’auteur, Tigrane Yégavian, est journaliste. Fin connaisseur de l’histoire et de la géopolitique du Moyen-Orient et du Sud-Caucase, il publie ses articles et ses analyses dans des revues spécialisées, telles que Diplomatie, Moyen-Orient, France-Arménie, Le Monde Diplomatique, Conflits.

3 A propos des écoles chrétiennes francophones au Liban et de leur soutien par l’État français, lire le communiqué de L’Œuvre d’Orient, du 24/07/2020. Lire aussi, dans notre éditorial du 13/08/2020, l’appel de Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de L’Œuvre d’Orient. Le Prix littéraire de L’Œuvre d’Orient récompense un ouvrage traitant avec espérance de la situation des chrétiens en Orient : une mention spéciale a été attribuée par le jury à Tigrane Yégavian pour son livre Minorités d’Orient, les oubliés de l’Histoire.

4 A propos de son livre Minorités d’Orient, écouter Tigrane Yégavian invité de Sébastien de Courtois, avec Antoine Fleyfel, philosophe et théologien, sur France Culture, le 26/01/2020, dans l’émission Chrétiens d’Orient (durée : 23 min)

A lire aussi : Minorités en Méditerranée au XIXe siècle : identités, identifications, circulations / Valérie Assan, Bernard Heyberger et Jakob Vogel (dir.).-PUR, 2019, dont la recension, en cours, sera mise en ligne prochainement, sur notre site.

5 Pascal Maguesyan est l’auteur, notamment, de Chrétiens d’Orient : ombres et lumières et Sur le chemin de Guiragos, livre qu’il a présenté sur France Culture, le 12/08/2018 dans l’émission Chrétiens d’Orient ainsi que son travail de chef de projet en Irak avec l’association Mesopotamia Héritage en vue de réaliser un inventaire du patrimoine des communautés fragilisées, chrétiennes et yézidies (durée : 23 min.) Ecouter aussi sur RCF : Mesopotamia, foi et patrimoine des chrétiens d’Irak (émissions de 12 min). Enfin, le livre Mesopotamia : une aventure patrimoniale, d’abord prévu pour avril, sera en librairie en septembre : à ne pas manquer !

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