Titre

L’Islam et l’examen scientifique.

Sous titre

Une quête renouvelée.

Auteur

sous la direction de Mohammad  Ali Amir-Moezzi

Type

livre

Editeur

Paris : les éditions du Cerf, 2024

Collection

La Bibliothèque de l’Institut français d’islamologie

Nombre de pages

136 p.

Prix

20€

Date de publication

15 août 2024

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L’islam et l’examen scientifique : une quête renouvelée.

Ce sont là quatre conférences prononcées au cours d’une journée d’études tenue à la Sorbonne le 15 juin 2023 à l’occasion de l’émergence de l’IFI (Institut français d’islamologie)1, une initiative heureuse du président de la République, Emmanuel Macron. Huit traductions et commentaires de textes classiques en islam lettré (adab) suivront et augurent de façon prometteuse du haut niveau d’exigence scientifique de cette bibliothèque.

Une ouverture substantielle du directeur de l’IFI, Pierre Caye, récapitule les objectifs de cet Institut, qui ambitionne d’offrir un panorama de l’islamologie actuelle de langue française, en plein renouveau depuis une quinzaine d’années. Cette dernière se réassurerait en se basant sur la double distinction entre les fondements de l’islam et le fondamentalisme, et entre la théologie et la religion.

La quête des fondements renforcera les acteurs de la dispute intellectuelle livrée au fondamentalisme (consistant en la recherche mythique des origines et à sa reproduction fantasmatique). L’islamologie, qui est l’antithétique du courant fondamentaliste, a pour objet de restituer les “processus quasi géologiques de construction des savoirs”, qui ont abouti à ces œuvres exemplaires, qui seront mises en exergue dans le programme de publication de la Bibliothèque.

La coupure introduite entre religion et théologie est une opération plus risquée. L’auteur vise ici les théologies séculières qui auraient engendré les figures monstrueuses des totalitarismes, dont l’islamisme est un dérivé. Les savoirs appuyés sur le socle des fondements serviraient de garde-fous contre le rêve positiviste et scientiste de l’abolition des religions : “Il y a de la religion parce qu’ il y a de l’immaîtrisable et, tant qu’il y a aura de l’immaîtrisable dans le monde, la question religieuse restera incontournable”, nous assure le directeur de l’IFI.

De la joute des idées sur l’essence du religieux à laquelle se livre Pierre Caye, on glisse avec le directeur de cette bibliothèque, Mohammad Ali Amir-Moezzi2, à un éloge appuyé du vieil orientalisme sur la dépouille duquel se trémoussent tant d’intellectuels médiatiques. Et cela fait du bien d’entendre cette voix autorisée bien au-delà du cercle des spécialistes, prôner vis-à-vis de l’islam un regard distancé, non confessionnel, mais empathique, et soutenir, à raison, que l’orientalisme fut l’une des branches les plus fécondes de l’humanisme européen à la recherche d’universalisme.

Les quatre conférences qui suivent révèlent l‘étendue et la diversité des répertoires sur lesquels opère l’islamologie actuelle, en phase d’incubation.

Christian Robin, directeur de recherches honoraire au CNRS, met en relief les découvertes épigraphiques qui, depuis un demi-siècle, ont renouvelé le champ des études sur l’Arabie ancienne. Il a existé une Arabie chrétienne (le royaume yéménite d’Himyar) du IIIe au VIe siècle et qui déborda sur toute la péninsule, bien avant le prophète Muhammad. Cet épigraphiste, qui est un trouveur émérite, n’en reste pas là. Il montre comment, sous l’effet, entre autres, de ces trouvailles, l’Arabie saoudite est en train de basculer. De l’Etat théocratique où était appliqué de façon radicale un islam fondamentaliste, le royaume passe à la nation-Etat fondée sur un régime autoritaire, comme il y en a tant ailleurs et doté d’un passé historique spécifique. Cet Etat décroche en douceur avec la tradition ancrée depuis le XVIIIe d’alliance inconditionnelle entre le spirituel (le wahhabisme) et le temporel (la dynastie des princes séoudiens).

François Déroche, professeur au Collège de France, examine minutieusement le renouvellement de la codicologie (l’examen des manuscrits). Deux événements inaugurent ce phénomène de scrutation des plus anciens Corans : l’exposition des manuscrits tenue à Londres en 1976 (suivie par celle de Paris en 1983) et la découverte, en 1972, à Sanaa d’un palimpseste du Coran très ancien. Mais l’exploration de ses strates inférieures tarde à être mise en œuvre et l’auteur regrette que ce manuscrit de Sanaa n’ait pas suscité la même ardeur inventive que la découverte des manuscrits de Qumran déclencha chez les biblistes.

Samuela Pagani, professeure de langue et littérature arabes à l’université de Salento (Lecce, Italie), revient avec bonheur sur ses années d’apprentissage, qui passent par l’Institut français d’études arabes de Damas (IFEAD) à Damas et l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE) à Paris. Puis elle démontre que les orientalistes les plus réputés en France ont été, chacun à leur manière, des “Fils de l’instant” : ibn al- waqt en langue arabe, un qualificatif pour désigner les soufis (les mystiques en islam). Louis Massignon se sera (durement à partir des années 1930) confronté à la colonisation. Henri Corbin aura été un témoin de la décolonisation, regrettant, comme Massignon, le glissement d’un “messianisme théologique” à un “messianisme social”. Ce dernier reste gros “d’une  menace qui risque de ruiner la spiritualité de l’islam comme cela est arrivé en chrétienté”, conjecture-t-il.

Michel Chodkiewiz fut un acteur embarqué dans le “clash des civilisations” annoncé. Il s’engagera ardemment pour un retour aux fondamentaux, comme le soutiendra avec une force intellectuelle ininterrompue cette belle journée d’études.

Il revenait à Dominique Avon, directeur d’études à l’EPHE, de définir le périmètre d’observation et d’études de la pensée islamique contemporaine par des savants extérieurs à la croyance islamique. Sa contribution s’emploie à délimiter ce qui appartient au commun et ce qui relève du spécifique.

La poursuite du commun (l’adaptation des savoirs aux requis de la modernité et de la mondialisation), si elle parvenait à tenir à sa place la sphère du religieux comme en Europe, ôterait toute raison d’être à l’islamologie du temps présent. Mais persiste une résistance opiniâtre de la pensée islamique traditionnelle (du fait du corps des ‘ulamâ’) à l’intrusion de la modernité. Et ceci justifie l’existence d’une spécialité, qui ressort des sciences humaines et ne s’érige plus en discipline à part entière, comme le fit l’orientalisme.

Dominique Avon démonte les ressorts de la contre-offensive des docteurs de la loi, qui affirment la prévalence du religieux sur le politique et leur requête à réislamiser le droit laïcisé partout. Il pointe les nœuds sur lesquels achoppent les tentatives de dialogue entre occidentaux et musulmans traditionnistes. On relèvera à cet égard l’insistance avec laquelle le shaykh d’al-Azhar, Ahmed al-Tayyib, ne condamna pas catégoriquement Daesh, qui n’aurait pas été une sédition condamnable (fitna) contre la religion, mais seulement une déviation, un écart par rapport à la norme. L’athéisme croissant reste la préoccupation dominante des docteurs d’al-Azhar.

Faut-il le rappeler avec insistance ? Cette série de textes a le grand mérite de mettre à la portée du profane le savoir actuel des islamologues. Chacun est écrit sans succomber à l’ésotérisme tant reproché à l’orientalisme. On peut les lire sans crainte d’inaccessibilité pour le lecteur non averti. On doit les lire absolument si on s’intéresse de près à l’islam, cette troisième et dernière déclinaison du monothéisme reçue à l’Antiquité tardive.

Daniel Rivet3

Notes de la rédaction

2 Président du conseil scientifique de l’IFI, Mohammad Ali Amir-Moezzi est également directeur d’études à l’École pratique des hautes études. Il a notamment codirigé l’événement mondial, réunissant les plus grands spécialistes internationaux, qu’a été Le Coran des historiens (4e de couv.).