Recension

Titre

Le général Édouard Méric (1901-1973)

Sous titre

Un acteur incompris de la décolonisation

Auteur

Daniel Rivet

Type

livre

Editeur

Bouchène, sept 2015

Collection

Bibliothèque d’Histoire du Maghreb

Nombre de pages

248

Prix

20,00 €

Date de publication

24 novembre 2016

Le général Édouard Méric (1901-1973)

Sujets : Méric, Edouard (1901-1973), biographie
France, Colonies, 20e siècle

Prix Lyautey 2016. Il sera décerné à Daniel Rivet, le 09/12/2016, par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.

C’est une biographie peu ordinaire que nous offre Daniel Rivet qui a enseigné l’histoire contemporaine à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Rabat, de 1967 à 1970, puis aux Universités de Lyon 2 et Paris 1-Panthéon Sorbonne. Spécialiste du Maghreb de l’époque coloniale[2], il s’attache ici à l’itinéraire d’un homme d’exception, non pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il était ; non pour ses prouesses militaires, mais pour sa pensée évolutive, son idéal et sa vision à long terme d’une humanité apaisée et plurielle.

Rien (ou presque) n’est dit sur la jeunesse de Méric, ses origines, sa formation. Le biographe le saisit en 1923 à sa sortie de Saint-Cyr. Dès 1925, on le retrouve au Maroc avec les troupes au combat contre Abd-el-Krim[3]. Il fera partie de l’Etat-major de Lyautey[4], le suivra dans sa retraite, s’imprégnera de sa pensée et rejoindra les Affaires Indigènes au sud du Maroc pour organiser les goums[5] et les tabors[6], constitués de supplétifs[7]. Officier de la Coloniale, il n’entrera vraiment dans la  Deuxième Guerre Mondiale qu’en 1942, loin des déchirements de la métropole. Le 8  novembre 1942, il participe avec ses troupes à la réussite du débarquement américain, se situant davantage du côté de Giraud[8] que de De Gaulle. Puis, c’est la reconquête de la Corse en 1943, la Provence le 15 août 1944. Méric s’illustre avec ses tabors marocains dans la prise d’Aubagne et la libération de Marseille, le 28 août 1944, terminant la guerre sur le front des Vosges et jusqu’au Danube.

De 1946 à 1949, il est en Indochine, pratiquant la contre-guérilla avec la Légion. C’est un homme de guerre, Compagnon de la Libération, cité onze fois à l’ordre de l’armée. Pourtant, il est peu apprécié de sa hiérarchie en raison de ses prises de position. On le retrouvera en 1954, secrétaire aux Affaires politiques à Tunis, puis en 1955, directeur de l’Intérieur à Rabat, contribuant à l’indépendance de ces deux pays. C’en était trop pour les ultras, accrochés à la colonisation à l’ancienne, tels les putschistes d’Alger[9]. Méric est relégué en Allemagne en 1956, sans commandement réel, avant d’être  mis à la retraite.

L’intérêt de cette biographie n’est pas tant dans le parcours assez atypique de ce militaire, que dans l’évolution de sa pensée. L’auteur a épluché une imposante documentation, aussi bien officielle que celle, personnelle, qu’avait accumulée le général Méric dans ses cahiers et sa correspondance. Et on découvre une personnalité attachante, sensible, réceptive, toujours en recherche et farouchement indépendante. Il a pourtant été formé pour être un acteur de la colonisation. Mais, dès les années marocaines, il s’est senti à l’étroit dans le schéma dominateur-dominé. Il le dira souvent lui-même : « C’est plus compliqué que cela ! » La vie avec les tribus berbères des confins du désert lui a fait rencontrer des hommes et des femmes avec  leurs pratiques, leurs coutumes, leur religion. Et parce qu’il les comprenait et les appréciait, il pouvait les commander. Ainsi en sera-t-il avec ses tabors pendant la guerre.

C’est sans doute l’Indochine qui fera basculer ce « colonial » vers l’urgence de la décolonisation.

La façon dont les troupes françaises traitaient les populations indochinoises et leurs élites lui a fait comprendre, peut-être avant d’autres, que la colonie pour dominer un peuple n’avait plus de raison d’être. Il avait saisi que le monde entrait dans une nouvelle ère, celle qui se concrétisera par les revendications des non-alignés de Bandoeng (1956). Dès lors, à Tunis comme à Rabat, il n’aura de cesse de préparer les responsables tunisiens et marocains à occuper toute leur place dans la gestion de leurs pays quand le colonisateur se sera retiré. Il a noué de solides relations avec les dirigeants des partis indépendantistes des deux pays. On ne le lui pardonnera pas.

De même qu’on ne lui pardonnera pas de n’avoir jamais fait partie d’une « coterie. Il n’est ni pétainiste, ni gaulliste. Très vite, il se démarquera de Giraud ou de De Lattre[10]. Homme de droite par sa formation et l’idée qu’il se fait de la France, il s’inspire de Mendès-France, d’Edgar Faure et d’Alain Savary, hommes de gauche. Après sa retraite, il fera un bout de chemin avec les gaullistes de gauche. S’il n’est plus colonisateur, il n’est pas non plus un décolonisateur pur et dur. Pas d’idéologie. La rapidité de la décolonisation l’a dépassé. Il la voyait comme une transition, un accomplissement et non comme une rupture.

Pour cet idéaliste, mieux valait que les hommes s’enrichissent mutuellement de leurs traditions et de leurs religions que de s’affronter dans une opposition stérile. Cette idéalisation d’une société pluraliste mettait Méric en porte-à-faux avec la tendance nationaliste ethnico-confessionnelle qui l’a emporté partout au Maghreb et au Proche Orient, et qui « constitue aujourd’hui un handicap au temps de la mondialisation et de l’apprentissage d’un vivre ensemble par des populations qui ne partagent ni la même confession religieuse ni la même culture historique. »

Visionnaire ? Précurseur ? Idéaliste ? Peut-être faut-il se garder d’utiliser des qualificatifs pour cette personnalité attachante et complexe qui a souffert de « la solitude de ceux qui eurent raison trop tôt », mais qu’il est bon de redécouvrir aujourd’hui grâce à cette biographie bien venue.

Claude Popin

[1] Les éditions Bouchène sont « une entreprise spécialisée sur les pays du Maghreb, et plus généralement sur l’ensemble des pays du bassin occidental de la Méditerranée. » : http://www.bouchene.com/

[2] Daniel Rivet a publié :

Histoire du Maroc : de Moulay Idrîs à Mohammed VI.- Fayard, 2012

Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation.– Hachette Littératures, 2002.- rééd. 2009.- (Pluriel)

Le Maroc de Lyautey à Mohammed V : Le double visage du protectorat.- Denoël, 1999

Lyautey et l’institution du protectorat français au Maroc : 1912-1925 (3 vol.).-L’Harmattan, 1996

[3] L’émir Abd el-Krîm (1882-1963), fut un résistant marocain du Rif jusqu’à sa reddition, le 26 mai 1926.

[4] Maréchal de France, Louis-Hubert Lyautey (1854-1934) créa, de 1912 à 1925, le protectorat français du Maroc qu’il maintint aux côtés de la France pendant la Première Guerre mondiale.

[5] Goum (mot arabe, troupe). Formation militaire supplétive qui était recrutée par la France au Maroc (1908-1956).

[6] Tabor (mot arabe). Corps de troupes marocain équivalant à un bataillon d’infanterie.

[7] Supplétifs : se dit de militaires autochtones engagés temporairement en complément de troupes régulières.

[8]Général français, Henri Giraud (1879-1949) commanda la VIIe armée en 1940. Coprésident du Comité français de libération nationale avec De Gaulle, il s’effaça devant ce dernier (1943).

[9] Cf. Le putsch des généraux, le 21 avril 1961 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Putsch_des_g%C3%A9n%C3%A9raux

[10] Maréchal de France, Jean-Marie De Lattre de Tassigny (1889-1952) commanda la 1ère armée française qu’il mena de la Provence au Rhin et au Danube (1944-45), puis devint haut-commissaire et commandant en chef en Indochine (1950-1952).