Titre
L'insurrection kabyle de 1871Sous titre
Représentations, transmissions, enjeux identitaires en Algérie et en FranceAuteur
Isabelle Guillaume (dir.)Type
livreEditeur
Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, février 2021Collection
Revue Etudes françaises, vol. 57, n°1, pp. 5-120Prix
Papier 23,00 $Can. Distribution en France Sodis courriel : portail@sodis.frDate de publication
31 octobre 2021L’insurrection kabyle de 1871
Depuis Victor Hugo, nous identifions 1871 à une “Année terrible” pour la France. Année de la Commune de Paris, elle est d’abord celle de la défaite face à la Prusse. Or, signé le 28 janvier 1871 par un régime républicain loin d’être solidement installé, l’armistice ne met un terme qu’aux affrontements militaires franco-allemands du moment. Car, sans parler des tensions qui perdurent entre les deux voisins européens, dès le printemps 1871, la guerre en métropole produit ses effets Outre-Méditerranée.
“Dans un contexte d’épidémies, de famine et d’endettement, le départ d’une partie de l’armée d’occupation vers la métropole en guerre, les défaites militaires face à l’Allemagne, la chute du Second Empire, l’installation de la République qui est réputée favorable aux colons avides de terres, nourrissent une résistance face à la domination coloniale.
Appuyant la lutte du bachaga Mohamed El Mokrani1 qui est entré en guerre contre l’occupant, le 16 mars 1871, le cheikh Ameziane El Haddad, qui dirige la puissante confrérie des khouans rahmaniyas, proclame le djihad pour libérer la Kabylie de l’envahisseur. Des environs d’Alger à la frontière tunisienne, les insurgés détruisent des fermes et des villages et ils attaquent différentes villes”.
Isabelle Guillaume résume ainsi la matière historique de ce dossier consacré aux représentations, aux interprétations et à la mémoire d’un événement quelque peu oublié ou mis de côté en France et en Algérie. Entre l’actuel mouvement Hirak2 et les commémorations de la Commune de Paris, le cent-cinquantième anniversaire de l’insurrection kabyle est en effet passé un peu inaperçu.
Composé de six articles3, ce dossier qui nous vient de Montréal est donc bienvenu et permet de comprendre à quel point cette insurrection de 1871 est significative pour la France et l’Algérie, d’hier à aujourd’hui, d’hier et d’aujourd’hui. Ce dossier recueille d’ailleurs des études produites par des chercheurs des deux rives de la Méditerranée.
Pluridisciplinaire, faisant appel à des perspectives artistiques, historiques et juridiques, il mobilise des sources aussi variées que des romans, des chroniques, ou des recueils poétiques.
Une première paire d’articles est centrée sur l’étude de poèmes kabyles recueillis dans différentes publications au 19e et au 20e siècles. Abdelhak Lahlou s’attache ainsi à lire les traces du traumatisme créé par la répression dans la poésie orale kabyle. Analysant la stupeur et le désarroi qui ont saisi la population au lendemain de cette défaite il montre comment les poètes se sont approprié l’événement pour témoigner du désastre de 1871 et de ses conséquences dans l’imaginaire populaire. Idir Hachi propose, quant à lui, une lecture comparée des représentations de l’insurrection dans les sources coloniales et dans la poésie kabyle. Analysant “prose des faits et vers défaits”, il met ainsi en valeur des divergences inconciliables sur l’insurrection de 1871 côté colonial et l’assimilation de la défaite à une fin de monde, côté colonisé.
Une deuxième série d’articles met en lumière une fracture française parmi l’élite littéraire et artistique. Comparant trois auteurs, Isabelle Guillaume montre comment le façonnement de “versions divergentes, voire inconciliables, des événements” a prolongé l’insurrection kabyle “avec une bataille historiographique qui est, avant tout, politique”. De la même manière, à partir d’une étude de représentation théâtrale et de sa réception, Amélie Gregório aborde de manière originale l’imaginaire colonial, montrant comment le théâtre peut rester “une source de polémiques tout autant politiques qu’esthétiques”. Et Peter Dunwoodie analyse comment Louis Bertrand, en “romancier et archéologue”, voit chez les néo-Français de l’Algérie (perçus comme des Latins et donc des catholiques) “une école d’énergie et quelquefois d’héroïsme, de régénération physique, intellectuelle, nationale et sociale” qui pourrait stopper le déclin de la France dans cette première partie du vingtième siècle.
Le dernier article propose une analyse plus ample, à partir d’une étude du discours juridique, de la littérature et du débat sur l’école. Élargissant la réflexion à une période qui va du Second Empire au déclenchement de la guerre d’indépendance, Jean-Robert Henry met en lumière les ruptures et les continuités qui s’opèrent dans un système de représentations juridiques, politiques et artistiques d’un rapport colonial traversé de dissonances et de contradictions.
A l’heure où la présidence française cherche à affronter le passé de la guerre d’Algérie et où les deux pays s’affrontent sur les questions mémorielles, ce dossier donnera donc à penser : non seulement sur un événement historique peu connu mais plus encore sur la gestion d’un héritage partagé et problématique qui mérite d’être saisi par l’ensemble des sciences sociales.
Rémi Caucanas4
Notes de la rédaction
1 Sur Mohamed El Mokrani (1815-5 mai 1871), cf. article de Pierre Darmon dans L’Histoire, n°55, avril-juin 2012 : La révolte du bachaga Mokrani
2 Sur le Hirak, cf. nos recensions : Révolutions et contre-révolutions dans le monde arabe ; Les débuts du Hirak en Algérie ; Algérie, la nouvelle indépendance ; Le soulèvement algérien
3 Voir sommaire de ce numéro
4 Rémi Caucanas est chercheur associé à l’Institut de Recherches et d’Études sur le Monde Arabo-Musulman (IREMAM, Aix-en-Provence) et au Pontificio Istituto di Studi Arabi e d’Islamistica (PISAI, Rome). Il a enseigné au Tangaza University College (TUC, Nairobi). Ancien directeur de l’Institut Catholique de la Méditerranée (ICM, Marseille), Rémi Caucanas a un doctorat en Histoire.