Titre

L’Algérie catholique

Sous titre

Une histoire de l’Église catholique en Algérie : XIXe – XXIe siècles

Auteur

Oissila Saaïdia ; préface de Jacques Frémeaux

Type

livre

Editeur

Paris : CNRS Editions, 2018

Nombre de pages

313 p.

Prix

25 €

Date de publication

3 novembre 2019

En savoir plus

L’Algérie catholique. Une histoire de l’Église catholique en Algérie : XIXe – XXIe siècles

Tout n’aurait-il pas encore été écrit sur l’Algérie ? Non, si l’on parcourt avec attention cet ouvrage qui étudie bien des réalités souvent peu explorées, d’une manière parfois surprenante mais non moins essentielle. Le titre lui-même, dans sa forme implicite d’oxymore, donne une indication sur l’originalité du propos.

Oissila Saaïdia, agrégée d’histoire[1], directrice de l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain à Tunis[2], s’intéresse depuis longtemps aux enjeux religieux de part et d’autre de la Méditerranée.

C’est donc d’abord de l’histoire qu’il s’agit : « Une histoire de l’Église Catholique en Algérie » selon le sous-titre. La période la plus développée s’étend de la conquête de 1830 à la fin de la Première guerre mondiale en 1918. La présence du personnel religieux catholique est plutôt un accompagnement des colons qu’une volonté prosélyte de conversions. Les Français importent leur religion dans un monde musulman, largement ignoré. Cette Église concordataire de France participe au système colonial et en devient l’un des piliers essentiels. « L’Algérie reste un cas unique, écrit l’auteur, ensemble de départements français et colonie de peuplement, outre-mer et proche de la France, elle est à la fois une autre France et une France autre ».

Ainsi, l’implantation de l’Église catholique calquera l’organisation administrative de la colonie sur le modèle métropolitain. Diocèses et paroisses vont quadriller le territoire. Un nouvel environnement visuel et sonore (églises, cloches, processions…) va s’imposer, rythmant le temps avec des fastes de célébrations liturgiques et des pèlerinages, tous destinés à affirmer la supériorité de la religion ainsi importée, avec l’aval bienveillant et les moyens financiers du pays colonisateur, lié par le concordat de 1802.

Cette autre France catholique transplantée est largement décrite à partir d’archives privées ou publiques, notamment les revues des  Semaines Religieuses diocésaines. Ainsi, c’est bien ce que l’Église donnait à voir d’elle-même à cette époque. Mais l’auteur est consciente que cette approche extérieure de l’Église officielle masque quelque chose de plus profond et qui reste à explorer dans le domaine des œuvres de congrégations religieuses (dispensaires, écoles…). Il y aura bientôt une France autre. Ainsi de l’expérience de la diversité des traditions religieuses. Marins siciliens, maltais, colons espagnols de l’Oranie, paysans italiens : tous ont leurs pratiques et leurs dévotions qui vont enrichir et colorer ce catholicisme local, lequel n’est déjà plus tout à fait français, puisque les lois de séparation de l’Église et de l’État de 1905 ne seront pratiquement pas appliquées à l’Algérie.

Si l’entre-deux guerres marque l’apogée de ce catholicisme extérieur, l’auteur ne s’y attarde pas, heureusement. Au-delà des faits, c’est l’historienne des mentalités qui écrit le plus beau chapitre sur L’Eglise catholique face à l’islam.

Dans les premiers temps de l’implantation tâtonnante de la colonisation, les premiers responsables catholiques s’appuieront sur le prestige de l’Église primitive, avec Augustin (354-430), Cyprien (v.200-258), Tertullien (v.155-v.222). Mais on ne ressuscite pas le passé. La réalité de la colonisation a fait coexister deux populations qui, non seulement s’ignorent, mais se craignent mutuellement. Chacun agit en fonction des préjugés qu’il a sur l’autre. Dans ce contexte, l’évangélisation des musulmans est « mission impossible », même pas souhaitable.

Dès les années 1880, l’archevêque d’Alger, Mgr Lavigerie (1825-1892), puis Charles de Foucauld (1858-1916) un peu plus tard, vont être porteurs d’une autre conception de la présence chrétienne en terre d’islam : celle du témoignage plutôt que de la prédication. Les Pères Blancs et les Petits Frères de Foucauld en seront les continuateurs. D’une Église occidentale triomphante, on passait à une Église locale humble et fraternelle. Ce changement de paradigme annonçait les prises de position du Cardinal Duval (1903-1996) et de nombreux chrétiens en faveur du peuple algérien dans sa lutte pour l’indépendance.

Après 1962, l’Église se maintient en Algérie, sans la colonisation. Mais elle a profondément changé, dans sa clientèle comme dans son approche de l’islam. L’auteur étudie les textes juridiques qui régissent ces nouvelles relations et s’appuie sur les témoignages de ceux qui vivent aujourd’hui dans l’Algérie nouvelle, comme Bernard Janicot, prêtre à Oran[3].

Avec de nombreux documents en annexe (listes des évêques, statistiques par diocèses, textes juridiques officiels), voilà un livre qui glisse d’une description d’une religion extérieure à une profonde réflexion intérieure sur le sens de la mission et des relations interreligieuses[4]. C’est tout son intérêt. Bien des pistes restent encore ouvertes sur un avenir incertain. Un nouveau chapitre de l’Église en Algérie continue de s’écrire.

Claude Popin

 

Notes de la rédaction

[1] Parcours et travaux universitaires de Oissila Saaïdia  

[2] IRMC

[3] À lire sur notre site, la recension du livre de Bernard Janicot.- Prêtre en Algérie : 40 ans dans la maison de l’Autre et son intervention sur le dialogue islamo-chrétien   

[4] Cf. Recensions de C’était une longue fidélité à l’Algérie, Tibhirine, l’héritage, voir aussi les Regards sur la béatification des martyrs d’Algérie