Bernard Janicot : « Le dialogue islamo-chrétien doit passer par une amitié personnelle entre chrétiens et musulmans »

Une interview réalisée par Pauline Compan pour SaphirNews du Mercredi 8 Février 2012. Prêtre catholique, Bernard Janicot a choisi d’exercer son ministère sacerdotal à Oran, en Algérie. Il y dirige désormais le Centre de documentation économique et social, au service des étudiants. Il garde ainsi les 30 000 ouvrages que compte la bibliothèque, où plus de 3 000 étudiants sont inscrits. Des étudiants principalement musulmans, pour des rencontres islamo-chrétiennes quotidiennes, fondées sur l’amitié et le respect. Il est l’auteur d’un ouvrage paru en 2010 chez Karthala : « Prêtre en Algérie : 40 ans dans la maison de l’Autre ».

 

 

Saphirnews : Vous avez pu participer à la session nationale des délégués diocésains aux relations avec les musulmans, qu’en avez-vous pensé ?

 

Bernard Janicot : J’ai pu constater que, partout, des initiatives sont prises pour faire vivre une véritable amitié islamo-chrétienne. Mais j’ai aussi eu la confirmation que les cas d’islamophobie étaient en augmentation.

Il y a des dérives des deux côtés et, sur ce point, je rejoins l’imam de la mosquée de Villeurbanne (69), Azzedine Gaci : « Il faut dénoncer toutes les dérives, d’un côté comme de l’autre, il ne faut rien laisser passer. » Car nous avons, d’un côté, des groupes chrétiens, très minoritaires mais aussi très convaincus, souvent d’extrême droite, qui font monter la pression, et, de l’autre côté, des groupes très peu représentatifs comme les salafistes.

 

Comment décririez-vous la situation des minorités religieuses en Algérie depuis la loi de 2006 sur le prosélytisme ?

 

B. J : Cela ne change rien dans mes relations avec les personnes. En revanche, les minorités ne peuvent plus prier là où elles le souhaiteraient. Parfois, cela peut être un peu gênant mais la véritable épée de Damoclès est au-dessus de nous si l’on discute religion avec quelqu’un de mauvaise foi, qui ira ensuite nous accuser de prosélytisme, mais cela ne m’est jamais arrivé.

Le problème se pose plus durement pour les évangélistes qui sont plus prosélytes. Il y a aussi des cas de personnes qui ne jeûnent pas pendant le Ramadan et qui écopent de procès. Ce ne sont pas forcément des personnes chrétiennes d’ailleurs.

 

Justement, quelle est votre attitude lors du mois de Ramadan ?

 

B. J : Je m’abstiens de manger en public. A la bibliothèque, je fais la journée continue et ne mange pas à midi, mais ce n’est pas un problème. J’avais déjà jeûné pendant le mois de Ramadan, du moins partiellement, mais j’avais remarqué que c’était mal interprété. Soit on me disait : « Pourquoi le fais-tu ? Tu es chrétien », soit on pensait que j’allais devenir musulman. Cela m’a un peu bloqué et maintenant, même lorsque je jeûne, je ne le dis pas.

 

Qu’en est-il du phénomène de conversions, très craint par les autorités algériennes ?

 

B. J : Il y a toujours eu des conversions au catholicisme. Seulement les personnes viennent et disent : « J’ai découvert Jésus-Christ, j’ai envie d’approfondir. » D’une certaine manière, elles sont déjà converties et viennent confirmer cela. Nous proposons alors un cheminement de trois ou quatre ans parce que l’on sait que c’est difficile et que cela va être un changement radical dans leur vie, il faut y être prêt. Par ailleurs, il y a les évangélistes qui convertissent plus rapidement. Ils sont d’ailleurs très présents en Kabylie. Ils baptisent en quelques semaines et il faudrait voir combien de temps ces conversions tiendront. Parfois, elles semblent se situer plus dans le domaine de l’émotionnel, avec des cérémonies dynamiques composée à 80 % de chants. Cela plaît à certains, car l’islam est un peu moins démonstratif.

 

 

Les responsables religieux musulmans, notamment français, sont-ils trop frileux sur la question du statut des minorités religieuses dans les pays musulmans ?

 

B. J : C’est vrai que l’on souhaiterait souvent que les milieux religieux musulmans soient un peu moins frileux et s’expriment davantage. Ils prennent souvent du temps pour réagir, même en cas de violences, comme à l’occasion des événements qui se sont passés au Nigéria. Il faudrait des positions plus claires, les musulmans, eux-mêmes, attendent cela.

 

 

Quelles initiatives existe-t-il à Oran pour promouvoir le dialogue islamo-chrétien ?

 

B. J : Le dialogue n’est pas vraiment développé là où je vis, je le vois entre les étudiants musulmans et les quelques étudiants chrétiens du Sud-Sahara qui fréquentent ma bibliothèque. Mais il y a des initiatives. Par exemple, le centre diocésain d’Oran organise une fois par mois une conférence. Cette année, nous avons axé sur la rencontre entre chrétiens et musulmans. Plusieurs conférences ont eu du succès, notamment celle de Christophe Roucou (responsable du Service national pour les relations avec l’islam (SRI) de l’Eglise catholique en France, ndrl).

Mais c’est surtout une pièce de théâtre qui a connu le succès le plus retentissant. « Pierre et Mohamed » retrace l’histoire d’amitié entre l’ancien évêque d’Oran, Pierre Claverie, et son chauffeur Mohamed, tous deux assassinés le 1er août 1996. La représentation a eu lieu dans une salle archicomble et composée aux deux tiers de musulmans, dans une atmosphère de communion. Il y avait des anciens qui avait connu Pierre Claverie, mais aussi des jeunes. J’ai eu des échos d’étudiants à la bibliothèque, je sentais que cette pièce les avait vraiment touchés.

 

 

Quelles sont vos ambitions pour ce dialogue ?

 

B. J : Il ne peut y avoir de dialogue spirituel islamo-chrétien que s’il passe par une amitié personnelle entre chrétiens et musulmans. Si on partage ensemble, travaille ensemble à la même chose, alors on peut se poser les bonnes questions. Cette étiquette chrétienne ou musulmane est une composante de la vie, mais pas la seule