Titre

Israël

Sous titre

Contradictions d’une démocratie coloniale

Auteur

Numéro dirigé par Dominique Vidal

Type

livre

Editeur

L’Harmattan, mai 2022

Collection

Revue Confluences Méditerranée ; n°119

Nombre de pages

166 p.

Prix

21 €

Date de publication

23 octobre 2022

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Israël : contradictions d’une démocratie coloniale.

Sous un titre volontairement provocateur, le dossier proposé par Confluences Méditerranée analyse différents aspects de la phase actuelle du conflit israélo-palestinien en rapport avec les sociétés qui en sont les acteurs.

En ouverture, l’historien Gadi Algazi décrit une société de classe dans laquelle les Palestiniens et les Juifs orientaux1 ont subi une exclusion et une prolétarisation croissantes qui en font des citoyens de statut inférieur. L’occupation et la colonisation ont joué un rôle majeur dans la mutation de la société israélienne qui est passée du “socialisme” à un ultra-libéralisme avec accumulation par la dépossession. Le gouvernement a pris le contrôle de la terre et de l’eau.

Deux tragédies, selon le journaliste Sylvain Cypel, hantent une mémoire en souffrance dans des conditions contraires. Celle de la Shoah dont le sionisme se perçoit comme le seul dépositaire légitime, déclenche encore un réflexe victimaire. Celle de la Nakba2 qui désigne l’expulsion de la population palestinienne sur laquelle l’État d’Israël s’est bâti, suscite une douleur persistante. Après être niée, cette éviction est considérée par certains en Israël comme inachevée. La radicalisation appelant à se débarrasser de la présence palestinienne conduit une minorité d’Israéliens3 à rejeter le penchant identitaire qui emporte toute leur société.

Pour Dominique Vidal, qui a coordonné ce numéro, Israël fait figure de meilleur élève de la classe néo-libérale. Avant la colonisation des territoires palestiniens, l’État assurait un niveau de vie austère mais sûr à l’essentiel de la population. Depuis que la défense et la construction des colonies sont privilégiées, l’inégalité règne. Logement et éducation sont sacrifiés. 50 familles détiennent 70% des richesses au point que l’on peut se demander si “l’alya* est maintenant réservée aux riches”.

Israël dispose pour son développement de deux atouts, la haute technologie présentée par l’économiste Jacques Bendelac et l’agriculture décrite par l’agronome Pierre Blanc4.

L’essor de la haute technologie est servi par les besoins sécuritaires. Le pays, en état de guerre permanent depuis sa création, a transformé les dépenses militaires en support de son industrie civile. Cependant, le passage d’un dirigisme d’État à un libéralisme total a réduit les investissements publics dans la recherche. Malgré les apports étrangers, le retrait du soutien de l’État et la fuite des cerveaux ont réduit le dynamisme de ce secteur. La distorsion entre haute technologie et basse technologie (agroalimentaire, textile) a étendu la pauvreté et le travail précaire.

L’agriculture a été centrale dans la construction territoriale d’Israël. Portée par une adaptation technologique et agronomique à des conditions naturelles contraignantes, elle a développé un remarquable savoir-faire en irrigation et en productivité. Prise entre innovations et dépossession, elle est devenue un obstacle sur le chemin de la paix avec les Palestiniens dont les terres cultivables sont sans cesse grignotées par la colonisation. La vallée du Jourdain est totalement articulée à l’espace israélien en toute illégalité. La maîtrise de la nature s’est transformée en outil d’emprise coloniale. Israël a mis son excellence technique au service d’une coopération internationale qui veut améliorer une image dégradée par l’occupation.

Le journaliste René Backmann s’intéresse au rôle de l’armée : est-elle au service de l’État ou de Dieu ? A l’ancienne “religion de la sécurité nationale” s’est substituée après 1977, sous Menahem Begin, une nouvelle approche, celle dite “de la rédemption”. L’armée n’était pas une cible pour les religieux jusqu’au moment où une académie militaire religieuse s’est créée. Dès lors, le poids des religieux n’a cessé de croître dans l’armée. Les rabbins militaires participent à la formation et l’encadrement des jeunes soldats. Une “coopération informelle” s’établit en Cisjordanie entre soldats et colons dans une proximité qui aggrave les discriminations entre Israéliens et Palestiniens. Animée d’une mission biblique, l’armée devient l’instrument principal d’une stratégie d’occupation.

La doctorante en sociologie politique, Nitzan Perelman, analyse le nouveau discours anti-arabe israélien qui contredit, dans l’hypocrisie, le discours convenu sur la coexistence avec les Palestiniens dans les villes mixtes. Après la révolte palestinienne du printemps 2021, l’idée d’une supériorité morale des Juifs prévaut et remet en question la citoyenneté même des Arabes israéliens. Cette dérive caractérise une société juive qui prétend se placer au-dessus des concitoyens arabes.

Pour le juriste Jean-Paul Chagnollaud5, une occupation démocratique est un impossible oxymore qui mène les Israéliens dans une impasse. Un contraste saisissant oppose dans les Territoires occupés deux systèmes administratifs dont l’un protège les droits de l’homme et l’autre les écrase. Des résistances multiples et récurrentes engendrent autant de formes de répression. Si l’occupation ne peut être transformée par la démocratie, à l’inverse la démocratie peut être vidée de ses valeurs par sa proximité avec l’occupation. La formule “État-nation du peuple juif” adoptée en 2018 exclut, par une discrimination structurelle, la participation des Palestiniens d’Israël à la souveraineté nationale.

Dominique Vidal6 relève, de nos jours, dans la population, une aspiration majoritaire à la laïcité. Les Juifs israéliens se libèrent du poids de la religion dans leur vie quotidienne. Mouvement à l’origine laïc, le sionisme a donné naissance à un État auquel les ultra-orthodoxes avaient fini par imposer leur loi. Mais, un Israël véritablement séparé de la Synagogue serait-il encore un Etat juif ? En revanche, une émancipation de la religion transformerait en Etat tous les citoyens sans discrimination. La tendance à la sécularisation y contribuerait.

Le Professeur Jérôme Bourdon se demande si le cinéma israélien fait preuve de courage ou s’il agit comme alibi. Depuis les années 2000, Israël exporte avec succès un nouveau cinéma qui donne sa place au destin de groupes souvent dominés : femmes, juifs orientaux, minorité palestinienne. En France, il conquiert par sa valeur artistique la critique et le public (ex. Les Citronniers,2008). Si le cinéma israélien implique des collaborations entre Juifs et Arabes, les créateurs palestiniens sont, de leur côté, limités dans les thèmes et défavorisés dans les financements. En portant une parole critique dans une société qui en manque fort, il maintient l’apparence d’une libération qui fait souvent défaut aux médias israéliens.

Le dernier thème sur lequel Sylvain Cypel s’attarde, est relatif à la perception d’Israël par la communauté juive américaine qui ne semble pas préoccuper les institutions juives françaises. Il constate que le judaïsme américain se distancie d’Israël, et en cherche les raisons. Le débat porté notamment par les milieux universitaires glisse aux États-Unis de la “sécurité d’Israël” à l’oppression quotidienne des Palestiniens. La communauté juive s’émancipe de la diaspora et s’ouvre à la modernité. Ces deux tendances restent encore minoritaires mais le fossé se creuse dans un processus accéléré par la relation fusionnelle Trump-Netanyahou et la récente guerre à Gaza. Considéré désormais comme intolérant et xénophobe, Israël “devient un fardeau” dont elle veut se libérer. L’idée s’impose que la différenciation ethnique est la marque d’un Etat colonial. En juillet 2021, un sondage du Jewish Electorate Institute concluait que 25% des Juifs américains approuvent l’idée qu’”Israël est un État d’apartheid”. En retour, Israël met sa confiance dans les évangéliques américains7.

En définitive, la société israélienne apparaît surdéterminée par son caractère colonial.

Henri Marchal8

Notes de la rédaction.

* Alya, mot hébreu signifiant “élévation” et désignant l’acte, pour un Juif, d’immigrer en Israël.

1 Juifs orientaux ou Mizrahim, par opposition à Juifs occidentaux ou Ashkenazim

2 Cf. La Nakba (“catastrophe” en arabe). La mémoire de la Nakba en Israël : le regard de la société israélienne sur la tragédie palestinienne /Thomas Vescovi.- L’Harmattan, 2015.-(Comprendre le Moyen-Orient). A propos de la Nakba, lire aussi l’article de L’Orient le Jour.

3 “Israéliens, courageux et déterminés, actifs dans diverses ONG” (Conclusion de l’article, p. 41)

4 Pierre Blanc est rédacteur en chef et membre du comité scientifique de la revue Confluences Méditerranée

5 Professeur émérite des universités, Jean-Paul Chagnollaud est directeur et membre du comité scientifique de la revue Confluences Méditerranée. De Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud, voir plusieurs recensions de leurs livres sur notre site : Moyen-Orient : idées reçues sur une région fracturée /Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud.- Le Cavalier Bleu, 2019.-(Idées reçues) ; Israël face à Israël : promesses et dérives d’une utopie / Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud.- Autrement, 2018 ;

L’invention tragique du Moyen-Orient /Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud ; illustrations, Claire Levasseur.- Autrement, février 2017.-(Angles & reliefs) ; Israël/Palestine : la défaite du vainqueur /Jean-Paul Chagnollaud.- Sindbad-Actes Sud, 2017.- (La bibliothèque arabe. L’Actuel)

6 Journaliste et historien, Dominique Vidal est l’auteur, notamment, de Antisionisme = Antisémitisme ? : réponse à Emmanuel Macron.-Paris : Libertalia, 01/02/2018.-(Poche) ; il a préfacé le livre : Témoins de paix en Palestine.- Paris : Temps Présent, 2017. Il est l’auteur, avec Michel Warschawski de Un autre Israël est possible : vingt-porteurs d’alternatives.- Ed. de l’Atelier, 2012

7 A propos des évangéliques américains, lire sur le site de L’Observatoire Pharos :
Les chrétiens évangéliques américains principaux soutiens du sionisme (idéologie et mouvement politique dont l’objectif est de constituer un État souverain pour le peuple juif)

8 Henri Marchal, né à Rabat, est Conservateur général honoraire du Patrimoine (Musées de France). Président de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer en 2019. Ancien membre du C.A. et Trésorier du CVPR-PO :
Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient

 

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