Titre
Antisionisme = Antisémitisme ?Sous titre
Réponse à Emmanuel MacronAuteur
Dominique VidalType
livreEditeur
Paris : Libertalia, 01/02/2018Collection
PocheNombre de pages
124 p.Prix
8 €Date de publication
4 novembre 2018Antisionisme = Antisémitisme ?
Sommes-nous en présence d’un « nouvel antisémitisme » qui se confondrait sous les traits de l’antisionisme ? C’est en tout cas ce qu’E. Macron a dénoncé aux côtés du Premier ministre israélien, B. Netanyahou, invité pour la première fois à participer aux commémorations de la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 2017.
Bien qu’il n’ait pas été explicité outre mesure dans le discours présidentiel, ce nouvel antisémitisme est, selon la définition établie par Pierre-André Taguieff, « masqué derrière la critique d’Israël et du sionisme, au nom de l’antiracisme et des droits de l’homme, et porté tant par l’islamisme radical [« antisémitisme musulman »] que par les idéologies tiers-mondistes d’extrême gauche [« antisémitisme d’extrême gauche »].[1] »
Cette dénonciation et cette invitation du Président de la République, Dominique Vidal – historien et journaliste, spécialiste du Proche-Orient – les qualifie respectivement d’« erreur historique » et de « faute politique »[2]. Passé presque inaperçu, ce discours est d’autant plus important que le gouvernement français s’est peu exprimé sur le conflit israélo-palestinien depuis les élections de 2017. En établissant un amalgame entre une opinion politique (l’antisionisme) et un crime de haine passible de sanction pénale (l’antisémitisme) le président Macron ferait le jeu de la propagande du gouvernement israélien. L’enjeu principal est donc ici, ni plus ni moins, celui du respect des libertés fondamentales[3]. C’est pour rétablir les faits, par « un effort de pédagogie », que Dominique Vidal a publié cet ouvrage aussi dense que concis. Un projet ambitieux, s’il en est, quand on sait combien cette problématique antisémitisme/antisionisme demeure sensible dans le débat public français[4]
Géopolitique, histoire et sociologie sont tour à tour convoquées pour traiter d’un sujet complexe qui n’autorise aucune simplification et aucun raccourci. D. Vidal rappelle le caractère, à bien des égards, occidental du sionisme, cette idéologie nationaliste, impérialiste et colonialiste[5] forgée aussi bien dans la peur des pogroms que dans les effusions nationalistes de la fin du XIXe siècle en Europe.
Pour relativiser l’association systématique du sionisme à l’ensemble des populations juives, D. Vidal souligne que malgré le soutien de la Grande-Bretagne mandataire (Déclaration Balfour de 1917), les soutiens au projet sioniste se font rares jusque dans les années 1940. Ce n’est d’ailleurs qu’après la Shoah que les populations juives survivantes émigrent vers Israël, plus ou moins contraintes par la fermeture de frontières de nombreux pays occidentaux comme celles des États-Unis. L’auteur souligne par ailleurs l’opposition des juifs orthodoxes au sionisme [6], un fait quelque peu occulté aujourd’hui par l’influence des sionistes religieux juifs qui ne s’est pas démentie depuis la victoire des Israéliens lors de la guerre des Six jours (1967). Tout cela n’est pas sans rappeler, comme le fait D. Vidal, la diversité interne et historique du mouvement sioniste.
Quant à l’antisémitisme – qui a succédé à l’antijudaïsme religieux chrétien ayant fait de nombreuses victimes, déportées et massacrées, pendant des siècles en Occident –, il n’a cessé de reculer depuis la 2e Guerre mondiale comme le montre aujourd’hui les chiffres de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Le sionisme, lui, conserve très majoritairement mauvaise presse parmi les Français.
Le dernier chapitre intitulé « radicalisations », permet de resituer le contexte géopolitique du discours d’E. Macon. L’auteur y dresse une analyse de l’actualité récente dominée par « un chantage à l’antisémitisme » qui n’est pas nouveau, mais qui prend une dimension nouvelle à l’heure où Israël se radicalise par la voix de son gouvernement de coalition entre droite religieuse et extrême droite. Dans ce tableau figure la tentation d’annexion des colonies juives en Cisjordanie ainsi qu’un « arsenal liberticide impressionnant (…) qui paraît pour l’instant inutile, tant l’opinion israélienne semble majoritairement radicalisée au diapason de ses dirigeants.[7] » Cette radicalisation interne est relayée au niveau international par des groupes ultra-sionistes et communautaires qui harcèlent les journalistes et intellectuels critiques. D. Vidal cite notamment le cas d’un CRIF de plus en plus aligné sur la droite israélienne la plus intransigeante, qui n’hésite pas à agir comme « deuxième ambassade israélienne » et à exclure de son « tribunal dînatoire » (A. Finkielkraut) ceux qui le critiquent (le PCF et les Verts).
La radicalisation israélienne se fait au risque d’une intensification des tensions et d’une dévalorisation de son image dans le monde, malgré le soutien plus que jamais partial et intransigeant de l’administration Trump. Conscient de ce risque, l’État israélien tente d’établir de nouvelles alliances, parfois contre nature, avec des pays comme la Hongrie de Viktor Orbán, la République tchèque ou la Slovaquie, qui ont en commun de cultiver le nationalisme, le populisme et l’islamophobie.
Remarquable pour sa pédagogie, cet ouvrage est un exemple salutaire de ce qu’un intellectuel engagé peu apporter au débat public au nom des libertés de conscience et d’expression. Un débat qui, sur cette problématique, demeure quasiment inexistant, voire empêché.
On pourra cependant regretter l’absence d’un élément central : le sionisme évangélique[8] qui, bien que très marginal en France, figure au niveau mondial parmi les principaux facteurs de soutien idéologique et religieux à la politique de colonisation et de re-judaïsation menée par la droite israélienne. Aussi peu connue en France que l’opposition religieuse juive au sionisme, la concomitance du sionisme religieux juif et du sionisme évangélique[9] est l’une des clés essentielles, avec le fondamentalisme islamiste, pour la compréhension du conflit israélo-palestinien et de ses répercussions sociales, politiques et culturelles à travers le monde.
Laurent Tessier
[1] p.76
[2] On se souviendra que d’autres personnalités politiques de premier plan, comme l’ancien Premier ministre Manuel Valls, devant le CRIF en mars 2016, ont dénoncé l’antisionisme dans des termes similaires.
[3] Article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »
[4] Parmi les personnalités qui ont subi des attaques à cause de leur travaux critiques envers la politique du gouvernement israélien figurent notamment Pascal Boniface, géopolitologue et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) ou encore Charles Enderlin, journaliste franco-israélien, correspondant à Jérusalem pour France 2 de 1981 à 2015.
[5] Sur cette thématique, on pourra écouter aussi l’intervention de Michel Abitbol sur la colonisation du pays lors d’un colloque organisé au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (Paris), en juin 2018.
[6] Pour en savoir plus lire : Yakov Rabkin. Au nom de la Torah : Une histoire de l’opposition juive au sionisme. Québec : Presses de l’Université Laval, 2004, 274 p.
[7] pp. 96-97
[8] Cf. Les actes du colloque organisé par Chrétiens de la Méditerranée en partenariat avec Les Amis de Sabeel-France : Du sionisme chrétien au document Kairos-Palestine, 1er juin 2013 à Paris.- Avignon : Les Amis de Sabeel-France, 2013.
[9] Pour en savoir plus lire : Yakov Rabkin. Comprendre l’État d’Israël : Idéologie, religion et société. Montréal : Écosociété, 2014, 270 p. ; Wissam Paul Macaron. Les évangéliques américains, le Proche-Orient et la fin des temps. Beyrouth : Presses de l’Université Saint-Joseph, 2016, 461 p.
Voir (écouter) aussi le débat à l’Iremmo animé par Jean-Paul Chagnollaud avec Pascal Boniface et Dominique Vidal, « Est-il permis de critiquer Israël ? » (le 30 janvier 2018).