Titre

Israël face à Israël

Sous titre

Promesses et dérives d’une utopie

Auteur

Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud

Type

livre

Editeur

Paris : Autrement, 25/04/2018

Nombre de pages

215 p.

Prix

19 €

Date de publication

12 novembre 2018

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Israël face à Israël

Les deux signataires de cette publication n’en sont pas à leur coup d’essai : depuis plus de dix ans, ils ont au moins cinq livres communs à leur actif[1]. Enseignant-chercheur à Bordeaux, Pierre Blanc est aussi rédacteur en chef de la revue Confluences Méditerranée[2]. Professeur émérite des universités, Jean-Paul Chagnollaud  préside l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO)[3]. Autant dire que ces deux universitaires sont animés d’une passion commune : la terre de Palestine-Israël, et sont reconnus comme des spécialistes de la question. Ils offrent ici, à tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu aux affaires du monde, un ouvrage grand public, accessible, relativement bref,  mais clair, dense, documenté, argumenté, concret, passionnant par les points de vue exposés et les analyses approfondies. Chacun y trouvera matière à réflexion et à percevoir « autrement » une réalité mouvante et complexe, comme y invite l’intitulé de la maison d’édition…

De façon très pédagogique, les auteurs proposent d’explorer six thèmes en six chapitres, « tous construits sur le même mode de balancement ». Que ce soit l’idéologie du sionisme, le territoire, l’État, l’identité, la sécurité ou l’économie, chaque chapitre est lourd de contradictions et de paradoxes, au point qu’un procédé de style vient immédiatement à l’esprit : l’oxymore. Ainsi : – le sionisme : une émancipation dominatrice ; – l’État : une démocratie d’occupation ; – la sécurité : une puissance impuissante ; – l’économie : une prospérité fragile. Les auteurs ne manquent pas, sans y insister cependant, de faire appel à l’histoire, à la géopolitique, à la culture, la mentalité ou la psychologie des peuples, aux mythes et grands récits fondamentaux, à l’économie ou aux conceptions politiques en matière de défense.

Ce serait cependant passer à côté de l’intérêt du livre que de n’y voir qu’un descriptif statique de la situation actuelle, de la réduire à des oxymores figés. Car les contradictions d’aujourd’hui, « les promesses et les dérives » du sous-titre, les lumières et les ombres, ne s’appréhendent  que dans le mouvement d’une histoire de plus d’un siècle. Le chapitre le plus éclairant sur le procédé des auteurs est peut-être celui sur la sécurité. Issu de la louable intention de protéger un peuple en diaspora, de lui donner « un toit » alors que sévissaient l’antisémitisme et les pogroms en Europe, le sionisme s’est vu dans la nécessité de se poser en force, d’abord face aux occupants britanniques du Mandat, puis aux populations arabes hostiles. D’où cette focalisation sur l’armée et les moyens de défense sophistiqués développés jusqu’à la possession d’armes atomiques. Israël est aujourd’hui surarmé, surpuissant. Pourtant, c’est cette recherche de sécurité par la force qui constitue sa faiblesse, puisque par effet d’entrainement, elle ne fait qu’irriter les populations environnantes et que ce bouclier sécuritaire rassurant masque son incapacité à construire la paix avec ses voisins. D’où, cette puissance impuissante. Jusqu’où ira-t-elle ?

Tous les chapitres analysent ainsi, avec de multiples exemples, cette fuite en avant, ou cet engrenage, qui conduit aujourd’hui Israël à pratiquer parfois l’inversion totale de ce qui constituait, au point de départ, une inspiration humaniste. Cela n’empêche pas les auteurs de souligner au passage les réussites incontestables de ce peuple, qui, en soixante-dix ans d’existence, a assuré sa capacité à se construire avec des immigrants de toute provenance, à se gouverner comme une démocratie, à se défendre, à s’industrialiser, à mettre en valeur des terres arides, à développer les technologies les plus modernes. C’est pourtant ce même peuple, et les auteurs le soulignent aussi, qui, dans le même temps, fait retour vers un nationalisme le plus obtus (qui nous a déjà valu deux guerres mondiales…), revendique et pratique toujours davantage d’occupation de territoires (comme au temps des colonisations…) et se laisse paralyser par l’ultra-rigorisme religieux (alors que le sionisme laïc des débuts se réclamait plutôt des Lumières). Pour les auteurs, c’est le paradoxe évident : comment une nation aussi moderne dans ses réalisations peut-elle opérer un tel retour en arrière politique, à rebours de l’histoire ?

« L’image d’Israël en France est très contrastée », écrivent les auteurs. Un État démocratique, maître de son destin ? ou une création de l’Occident qui occupe des territoires au mépris du droit international ? Les deux regards s’excluent souvent, s’opposent même, brouillés par des certitudes idéologiques. Et pourtant, « pour tenter de comprendre ce pays aujourd’hui, il faut appréhender ces deux lectures comme s’il y avait au moins deux Israël emportés par une dynamique historique en perpétuel mouvement. Israël face à Israël ». C’est cette dynamique et ce mouvement, analysés avec finesse et compétence, qui constituent tout l’intérêt de cet ouvrage[4].

Claude Popin

 

[1] Notamment, L’invention tragique du Moyen-Orient  ; l’Atlas du Moyen-Orient, et l’Atlas des Palestiniens
[2] Revue Confluences Méditerranée
[3] iReMMO 
[4] On pourra voir la vidéo de la conférence sur Israël de Jean-Paul Chagnollaud à la BM de Lyon,17/10/2018, dès qu’elle sera mise en ligne.