Titre

Deux peuples pour un État ?

Sous titre

Relire l’histoire du sionisme

Auteur

Shlomo Sand ; trad. de l’hébreu par Michel Bilis

Type

livre

Editeur

Paris : Seuil, 2024

Collection

La Couleur des idées

Nombre de pages

247p.

Prix

21€

Date de publication

9 septembre 2024

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Deux peuples pour un Etat ? Relire l’histoire du sionisme.

L’ouvrage de Shlomo Sand débute, en page 7, par une citation de Tamir Pardo, l’ancien chef du Mossad – un service de renseignement israélien – parue dans un journal de l’Agence Associated Press, en 2023… donc à une date encore récente : “Ici, c’est un état d’apartheid. Lorsque, dans le même territoire deux personnes sont jugées selon deux systèmes judiciaires différents, c’est un état d’apartheid.” Et bien évidemment cette déclaration peut se confirmer, car en effet, les civils israéliens sont jugés dans des tribunaux civils alors que les Palestiniens, eux, le sont par des tribunaux militaires israéliens.

L’ouvrage de Shlomo Sand est abondamment documenté. Il reprend et complète ses livres précédents qui sont donc, tous les trois, à mettre en lien : Comment le peuple juif fut inventé.-Fayard, 20071 et Comment la Terre d’Israël fut inventée.-Flammarion, 2012.

D’autres références à d’autres auteurs sont signalées et explicitées dans ce livre. De Martin Buber à Hannah Arendt, mais aussi des sources tirées d’ouvrages d’Assam Ghanem, Edward Saïd, ainsi que beaucoup d’autres penseurs très divers dans leurs analyses. Tels que David Ben Gourion, Henri Curiel… A propos du nationalisme et du marxisme sioniste, notamment.

Nous sommes loin de la maxime de Theodor Herzl, le père du sionisme2, “Une terre sans peuple, pour un peuple sans terre”…

En nous reportant à ces nombreuses références, nous découvrons ou redécouvrons l’histoire de ces deux peuples qui n’en finissent pas de se déchirer, de se martyriser, dans la fureur voire la haine réciproque. Certains d’entre eux sont plus martyrs que d’autres, certes dans des temps différents, dans des situations d’injustices toujours plus criantes ainsi que dans des revendications différentes, mais parmi tous les tremblements de l’histoire, la terre est toujours la source d’une perte et/ou d’une volonté de retour.

Situation d’apartheid réel pour les Palestiniens. Sentiment d’insécurité grandissant, fabriqué ou véritable, pour les Israéliens qui se sentent menacés.

Il nous faut vraiment plonger dans les racines profondes de l’histoire, de l’existence de la Palestine et de l’immigration juive, puis de la création de l’État d’Israël qui a suivi la résolution 181 de l’ONU, reconnaissant un État juif en Palestine, pour en comprendre la complexité et la fragilité. Fragilité d’un avenir à deux ou commun, démocratique et non hégémonique. Il nous faut entrer dans l’histoire de la construction du sionisme, comprendre non pas pourquoi ces deux nations en sont arrivées là mais COMMENT elles vont pouvoir sortir de leurs drames mortifères.

Bien sûr, il nous faudrait reprendre chapitre par chapitre cet excellent ouvrage quasi interminable. Lire la “Terre des ancêtres”3, aller à la notion de nation, la notion de nation du peuple juif, passer par la “Charte hébraïque” (p.156)4, dont nous parle l’auteur, car déjà Uri Avnery5 en rappelait le cadre fédéral : deux États souverains, avant que “L’Action sémite”6 soit dissoute avant la guerre de 1967 dite “des Six-Jours” (5 au 10 juin 1967).

Il nous faudrait aussi comprendre la gauche israélienne et ses fissures, découvrir le paradigme binational qu’un grand nombre d’articles et d’analyses nous présentent comme étant assurément la solution du problème.

Comment sera compris ce nouveau concept de binationalité ? Cela reste à démontrer dans les faits, et dans les actes. Est-ce que tout y est inscrit ? Certes non, car suffit-il de donner la primauté aux deux peuples pour que tout s’apaise ?

Malgré l’imposante et remarquable démonstration des divers exposés présentés dans ce livre, l’avenir peut-il s’y lire ? Faut-il croire à un futur construit en synergie avec ces deux peuples liés à cette terre par leur histoire ? Trop de souffrances endurées depuis plus de 75 ans par les Palestiniens, trop de renoncements dans le camp israélien de la Paix, trop d’espoirs annihilés peuvent-ils convaincre qu’un État binational serait possible dans de telles conditions ?

Et si l’auteur7 dans ses conclusions nous invite à un espoir, espoir pour les 7,5 millions d’Israéliens et pour les 7,5 millions de Palestiniens, est-ce que celui-ci pourra se réaliser dans la création d’un Etat binational ?8

Car cette idée n’est pas vraiment neuve, elle a existé par le passé, elle doit maintenant dépasser les clivages et passer avant tout par l’ÉGALITE DES DROITS DE TOUTES ET TOUS.

Et si ce rêve devait devenir réalité, alors, qu’il soit rêve de volontés humaines et politiques, rêve de faire taire les armes et l’injustice. Afin de voir naître un avenir de paix et de justice pour les deux peuples.

Marilyn Pacouret

Présidente de Chrétiens de la Méditerranée

Notes de la rédaction

1 Comment le peuple juif fut inventé : de la Bible au sionisme.-Fayard, 2007 et Comment la Terre d’Israël fut inventée : de la Terre sainte à la mère patrie.Flammarion, 2012. Voir aussi : Les mots et la terre : les intellectuels en Israël / Shlomo Sand ; préface de Pierre Vidal-Naquet ; traduit de l’hébreu par Levena Frenk, Michel Bilis et Jean-Luc Gavard.-Flammarion, 2010.- (Champs essais ; n°950). Lire aussi : La terre d’Israël : vers une approche œcuménique /Revue Transversalités, n°159, 2021

3 Cf. ch. 1. Terre des ancêtres” ou terre des indigènes : le foyer ancestral. À propos de la nation. Ethnocentrisme. Binationalisme ?

4 Cf. ch. 7. L’Action sémite et un Etat arabo-hébraïque : Le contexte “cananéen”. Une gauche “sémite”. La Charte hébraïque. A noter, p.156 : “Dans sa version anglaise, la Charte est intitulée ‘Manifeste'”. Le texte a été publié aux Editions centrales de L’Action sémite, en septembre 1958.

5 Uri Avnery (1923-2018), journaliste et militant pacifiste israélien, ancien député, responsable du Gush Shalom (Bloc de la paix). Auteur de Mon frère, l’ennemi : un Israélien dialogue avec les Palestiniens.– Liana Levi, Paris, 1986 : cf. articles dans Le Monde et La Croix du 20/08/2018.

6 L’Action sémite, fondée par Uri Avnery en 1956. Ce dernier plaidera pour le “cananéisme”, ou l’idée d’une nation qui n’est fondée ni sur l’hébraïté ni sur l’arabité, mais sur leur coexistence binationale. (extrait de la note 7). L’Action sémite tentera de faire perdurer l’idée d’un État binational, tout en échouant à devenir un mouvement de masse.

8 Cf. La position de Shlomo Sand : “Juifs et Palestiniens, nous n’avons pas le choix, nous devrons vivre ensemble”, lire l’article publié le 12/04/2024 dans l’édition française de Middle East Eye.

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