Titre
La terre d’Israël.Sous titre
Vers une approche œcuméniqueAuteur
Institut catholique de Paris ; Luc Forestier, sous la direction deType
livreEditeur
Paris : Société d’Edition de Revues, oct. 2021Collection
Revue Transversalités, n°159Nombre de pages
198 p.Prix
16€Date de publication
15 mai 2022La Terre d’Israël : vers une approche œcuménique. Revue transversalités n°159, oct.-déc. 2021
La revue de l’Institut catholique de Paris, Transversalités, (octobre-décembre 2021), offre une réflexion sur le thème de La terre d’Israël. L’approche, alimentée par les articles de quatre auteurs, se veut œcuménique. Elle est le fruit d’un travail de séminaire “Permanence d’Israël et diversité confessionnelle”, qui s’est déroulé entre septembre 2020 et janvier 2021. L’éternelle question (ou défi ?) posée aux chrétiens par la permanence d’Israël a pris une importance accrue avec la création de l’État d’Israël en 1948, et a entraîné des réactions diverses de la part des différentes confessions chrétiennes.
Un premier article (p. 15-27), signé par les quatre auteurs de cette production, propose un “état des lieux œcuménique de la question complexe de la Terre d’Israël”. L’éventail œcuménique recouvre le christianisme et la diversité des approches protestantes, l’absence de l’apport orthodoxe étant regrettée par les auteurs. Deux lignes d’analyse ressortent du monde catholique : d’une part celle représentée par la Commission pour les relations religieuses avec Israël, pleine d’avancées et de nuances, et d’autre part l’Accord fondamental de 1993 entre le Saint Siège et l’État d’Israël, où la réalité de la terre d’Israël ne peut être ignorée. La diversité des approches en milieu protestant peut être illustrée par cette assertion de la Déclaration de Leuenberg1 : “Les Églises de la Réforme sont unies par des problématiques communes, mais non par des conceptions communes”. Les diverses réactions juives aux nouvelles approches chrétiennes sont analysées en fin d’article (p. 23-27).
Dans “L’État d’Israël, une crux theologiae” (p. 29-41), Thérèse M. Andrevon analyse l’impact, sur la pensée chrétienne, de la création de l’État d’Israël dans la terre d’Israël. Cet événement du 20e siècle vient bousculer le simplisme de la pensée traditionnelle, issue des pères de l’Église, selon lesquels l’expulsion des juifs de Jérusalem avec la perte de la terre était signe de leur rejet hors de l’alliance, l’Église prenant leur place, selon le schéma classique “rejet-substitution”. Désormais la nouvelle situation oblige à répondre à cette question, déjà formulée en 1973 par la Commission épiscopale de France pour les relations avec le judaïsme : “savoir si le rassemblement des dispersés du peuple juif, qui s’est opéré sous la contrainte des persécutions et par le jeu des forces politiques, sera finalement ou non, malgré tant de drames, une des voies de la justice de Dieu pour le peuple juif et, en même temps que pour lui, pour tous les peuples de la terre” (p. 32). Thérèse Andrevon s’applique à répondre à cette interrogation.
Dans “Sion et les diverses figures eschatologiques” (p. 43-54), William Krisel veille à bien situer “la place de Sion dans le messianisme juif”, et il expose les vues des “sionistes chrétiens”. De la part des juifs, une tendance prend de l’ampleur après le conflit de 1967 : un “sionisme messianique”, convaincu que le temps de la rédemption a déjà commencé et que cela autorise la reconstruction du Temple. Les courants – libéral, massorti et la majorité des orthodoxes -, s’opposent à cette représentation : la venue du messie et des temps messianiques sont exclusivement réservés aux décisions de la providence divine. En revanche, les “sionistes chrétiens” sont persuadés de l’imminence des derniers jours et offrent leur soutien inconditionnel à l’État d’Israël.
Luc Forestier intitule sa contribution : “Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? (Ac 1,6). Permanence d’Israël et apostolicité des Églises” (p. 55-64). Tout le débat repose sur cette question qui peut être ainsi simplifiée : ce “règne pour Israël”, avec les inévitables nuances politiques que contient l’expression, est-il à poursuivre par les apôtres, ou bien ces derniers sont-ils dépositaires exclusifs de leur témoignage sur Jésus, selon les conditions définies lors de l’élection de Matthias (Ac 1,21-22). En réponse à cette dernière position (soutenue par D. Marguerat, p. 58, note 6) il faut voir comment Paul, nommé lui-même “apôtre” (Ac 14,4.14) prend le relais de la fonction apostolique, laquelle ne peut pas se dégager purement et simplement du rétablissement du Royaume pour Israël au profit d’une annonce purement spirituelle aux nations. Concluons, de façon provisoire avec L. Forestier, par cette réflexion de J. Moltmann : “le mouvement œcuménique et la théologie œcuménique finiront par revenir au commencement, et à se former et à s’articuler de façon nouvelle dans le dialogue avec Israël et avec la pensée juive.” (p. 64, note 23).
Anne-Marie Reijnen introduit ainsi sa contribution : “Le principe prophétique doit-il conduire à relativiser la terre ? Points de vue protestants” (p. 65-75). La création de l’État d’Israël sur la terre d’Israël introduit une relation à l’espace qui est en état de contredire la relation au temps représentée par le prophétisme, objet de préférence des courants protestants : celle d’un peuple sans aucune terre, pur témoin de la primauté du spirituel. Le débat prendra la forme paradoxale d’une “théologie de la terre” vis-à-vis d’une “théologie des pauvres”, ce dernier point évoquant “la présence du peuple palestinien (qui) doit demeurer une écharde dans notre chair théologique” (p. 70). Anne-Marie Reijnen donne comme exemple l’évolution de Paul Tillich qui, au contact de Buber, comprendra l’importance d’Israël comme nation et terre, mais maintient “une dissociation d’Israël, peuple de l’Alliance, de la réalité physique d’un territoire” (p. 72).
En conclusion, selon Jean Claude Eslin, Jésus ouvre “un nouvel âge, étranger à la liaison du politique et du religieux qui caractérise Israël” (p. 74). Cependant, l’attente, dans le christianisme, d’une nouvelle venue oblige à tenir compte de la réalité concrète d’Israël pour le temps présent. La réflexion n’est pas close !2
Jean Massonnet3
Notes de la rédaction
2 Sur la terre d’Israël, voir, notamment, les recensions des livres suivants :
La terre, la Bible et l’histoire : “Vers le pays que je te ferai voir… “ /Alain Marchadour et David Neuhaus ; préface du cardinal Carlo Maria Martini, s.j. .- Paris : Bayard, 2010.- (Histoire des religions)
Comment la terre d’Israël fut inventée : de la Terre sainte à la mère patrie / Shlomo Sand.- Flammarion, 2014.- (Champs histoire)
La terre en Palestine/Israël : une vérité à deux visages / Patrice Sabater ; préface d’Antoine Sfeir et postface de Samir Khalil Samir.- Domuni Press et les Presses universitaires de l’Institut Catholique de Toulouse, 2015.
3 Jean Massonnet, prêtre du diocèse de Lyon, est diplômé de l’Institut biblique pontifical et enseignant émérite de la faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon où il a été directeur du Centre chrétien pour l’étude du judaïsme de 1990 à 2005. Au service du dialogue entre juifs et chrétiens, Jean Massonnet, lauréat du Prix AJCF 2016 : cf. article de La Croix, 26/09/2016 et n° 413 de Sens, la revue de l’AJCF (été 2017) a été responsable du groupe lyonnais de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France. Il a mis en lumière, pour le site de CDM, les trois nouveaux textes importants publiés, dans la revue Sens n°405 (mars-avril 2016) à l’occasion des 50 ans de Nostra Aetate, la Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, du Concile Vatican II (28/10/1965). Il est l’auteur de plusieurs livres et, notamment, de L’épître aux Hébreux.- Cerf, 2016.- (Commentaire biblique : Nouveau testament ; 15).