Titre

Comment la terre d’Israël fut inventée

Sous titre

De la Terre sainte à la mère patrie

Auteur

Shlomo Sand ; traduit de l’hébreu par Michel Bilis

Type

livre

Editeur

Paris : Flammarion, 2012 (février 2014 pour la présente éd.)

Collection

Champs histoire

Nombre de pages

424 p.

Prix

10 €

Date de publication

26 novembre 2018

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Comment la terre d’Israël fut inventée

Ce livre de Shlomo Sand, historien israélien de l’Université de Tel Aviv, fait suite à son précédent ouvrage : Comment le peuple juif fut inventé [1] pour répondre à certaines critiques qui lui avaient été adressées. La ligne suivie est la même, celle d’une déconstruction des discours maintenant habituels évoquant la terre d’Israël (Eretz Israël, le territoire entre le Jourdain et la Méditerranée) comme promesse faite par Dieu  au peuple juif qui serait la justification de l’État sioniste et colonisateur, lui donnant des droits historiques.

L’auteur enserre son enquête historique très détaillée et convaincante dans deux témoignages plus personnels rendant compte de sa démarche : en tant que soldat en 1967 il vit mal les exactions dont il est témoin, produisant « une ligne de partage des eaux » dans sa vie ; en tant que professeur il dénonce le défaut de mémoire collective sur le lieu même de l’université qui a été bâtie sur le site du village arabe d’Al-Sheikh Muwannis, détruit en 1948.

Une première plongée historique est consacrée à l’évolution de la notion de patrie, liée à l’émergence de la nation et à sa territorialisation. Cela le conduit au néologisme de mytherritoire pour désigner le processus qui a conduit les sionistes à revendiquer la terre des ancêtres au sein d’une approche laïque se référant à un message religieux détourné, résumé dans la citation : « Dieu n’existe pas, mais il nous a promis cette terre » (p. 108, note 1). Le rapport à la terre est analysé du point de vue des écrits de la Bible ou du Talmud [2] et l’auteur met en exergue l’injonction du Talmud de Babylone[3] : « les juifs ne doivent pas converger vers Sion » (p. 162). Il relève certaines tentatives limitées et  non concluantes d’émigration vers Jérusalem, la plus importante étant celle des Karaïtes[4] au IXe siècle (p.165-167). En fait, la position religieuse antisioniste durera jusqu’à l’apparition du nationalisme moderne.

Il présente ensuite tout le mouvement du sionisme chrétien[5] prenant corps peu à peu dans l’Angleterre des XVIIIe et XIXe siècles. Suite à la Réforme et grâce à l’imprimerie, les puritains lisaient la Bible comme un livre d’histoire, amenant plusieurs théologiens à imaginer la création d’un État d’Israël en vue de la conversion de toutes les nations au christianisme. Shaftesbury aurait été le premier à exprimer la formule : une terre sans peuple, un peuple sans terre… Ces raisons, alliées aux intérêts économiques et géopolitiques expliquent la politique britannique dès 1840 favorable à l’implantation juive en Palestine.

L’auteur présente ensuite l’émergence du projet laïc porté par Theodor Herzl[6] contre l’avis rabbinique, aboutissant à la célèbre déclaration Balfour de 1917[7], motivée aussi par le souci de refuser l’immigration juive en Angleterre.

Ainsi, trois axes idéologiques et politiques ont convergé pour former le projet sioniste : Sensibilité chrétienne évangélique ; détresse des juifs du peuple yiddish, suite aux pogroms en Europe de l’est (Russie) ; cristallisation d’une expression nationale moderne.

Cependant, Shlomo Sand relève que la déclaration Balfour ne suffit pas à convaincre les Juifs d’affluer vers leur « patrie historique », la plupart des Juifs du monde ne considérant pas la Palestine comme leur pays.

Une dernière partie est consacrée au « sionisme versus judaïsme : la conquête de l’espace ethnique ». Il reprend l’émergence du projet sioniste de Herzl (si peu juif !), l’absence de considération des habitants arabes qui conduit aux émeutes de 1929 puis de 1938 face à la colonisation, le mouvement kibboutzique fer de lance des jeunes colons…Il n’évoque guère la période de la Shoah qui n’est pas son sujet, et reprend l’histoire de l’Etat d’Israël avec une grille de lecture selon laquelle Israël a commencé à s’enliser dans l’occupation et la colonisation après la victoire éclair de 1967.

En résumé, le terme terre [8]d’Israël, ou pays de Canaan, pays de Sion, pays du Cerf, est, à l’origine, une invention chrétienne et rabbinique théologique tardive qui a définitivement pris forme au début du XXe siècle. Cette ingénierie linguistique a contribué à la construction d’une mémoire ethnocentriste à l’œuvre dans la société israélienne contemporaine.

Cet ouvrage très foisonnant d’un historien des idées est incontournable pour  tous ceux qui s’attachent à comprendre le projet sioniste et le conflit palestinien sur le temps long[9].

Xavier Godard

 

[1] Pour lire sa recension, cliquer sur le titre : Comment le peuple juif fut inventé : de la Bible au sionisme

[2] Pour en savoir plus sur le Talmud, cliquer ICI

[3] Cliquer sur : Une patrie portative : le Talmud de Babylone comme diaspora 

[4] Pour en savoir plus sur les Karaïtes, cliquer ICI

 [5] Cliquer sur : Du sionisme chrétien au document Kairos-Palestine

[6] Theodor Herzl (1860-1904), juriste, journaliste et écrivain juif hongrois, fondateur du sionisme (congrès de Bâle, 1897), auteur de Der Judenstaat : L’État des Juifs (1896).

[7] A lire : La Déclaration Balfour cent ans après / Nathan Weinstock.- Le Bord de l’eau, 2018.- (Clair & net)

[8] A propos de la terre, cliquer sur : La terre, la Bible et l’histoire /Alain Marchadour, David Neuhaus et sur La terre en Palestine/Israël : Une vérité à deux visages / Patrice Sabater

[9] Écouter la conférence de Shlomo Sand à l’iReMMO où il était l’invité de Jean-Paul Chagnollaud, le 28/09/2012 (durée : 1h22)