Titre
Minorités en Méditerranée au XIXe siècleSous titre
Identités, identifications, circulationsAuteur
sous la direction de Valérie Assan, Bernard Heyberger, Jakob VogelType
livreEditeur
Presses universitaires de Rennes, 2019Collection
HistoireNombre de pages
284 p.Prix
24 €Date de publication
21 mars 2022Minorités en Méditerranée au XIXe siècle. Identités, identifications, circulations
Ce livre éclaire et précise l’impérissable dialectique minoritaire des rives orientales et méridionales de cette mare nostrum, autour de laquelle se nouent et se dénouent, depuis des millénaires, identités, empires et civilisations. Habituellement inscrites dans le champ d’analyse géopolitique des traités internationaux qui conclurent la Première Guerre Mondiale en même temps qu’ils consacrèrent la chute et l’effacement de l’Empire ottoman, les questions minoritaires sont ici décryptées dans leurs dynamiques, leur variété et leur complexité ; à l’aune d’un siècle, le XIXe, qui précéda celui du grand chaos et des marchandages identitaires, communautaires, confessionnels et territoriaux (…) toujours irrésolus.
Certains contributeurs ont poussé l’analyse jusqu’en 1923, date du traité de Lausanne et de la sempiternelle réécriture du statut juridique des minorités non-musulmanes, non plus dans leur jus impérial ottoman ou colonial européen, mais cette fois-ci dans le carcan nationaliste de la nouvelle et orgueilleuse Turquie de Mustafa Kemal. L’un des auteurs pousse même le curseur entre 1920 et 1932, dans l’Irak post-ottoman, entre mandat britannique et indépendance monarchique. Les quinze auteurs de cet ouvrage collectif nous invitent, par le maillage de leurs analyses spécifiques, à observer ces mouvements minoritaires incessants, à la manière d’un groupe de sismologues examinant la tectonique des plaques.
Chacun cherchera naturellement dans cet ouvrage – par simplisme, par tropisme ou par identification – sa minorité de référence, celle qu’il considère être l’étalon d’une mesure globale de la question minoritaire en Méditerranée. Une telle lecture minimaliste ne servirait pas l’intention comparatiste des codirecteurs de cet ouvrage, Valérie Assan, Bernard Heyberger et Jakob Vogel.
S’il existe des critères d’analyse généraux, communs et invariables au fait minoritaire en Méditerranée aux XIXe et XXe siècles, le panorama proposé par les auteurs de ce livre évite l’écueil de la seule expertise critique de la dhimmitude qui caractérise la soumission des non-musulmans de l’Empire ottoman administrés en communautés ethno-confessionnelles (millet). Ce panorama regarde aussi et simultanément les systèmes coloniaux français, italien et britannique qui firent de leurs minorités (réelles ou désignées), de leurs communautés et de leurs indigènes les marques de ponctuation de leur grammaire circonstancielle diplomatique et militaire.
Grecs de Trieste, Arméniens de l’Égypte ottomane, Rums turcophones de Cappadoce, Berbères ibadites d’un Djebel Nefousa italien, Latins des Cyclades protégés par la France, Juifs d’Algérie et des marges de l’Empire français, Kabyles d’Algérie convertis au catholicisme, Chrétiens de Damas dans un Empire ottoman converti de gré et de force aux réformes des Tanzimat, Juifs d’Irak sous mandat britannique… Tous sont otages des intérêts coloniaux, tous résistent à l’hybridation coloniale et impériale, tous se voient attribués des statuts juridiques fragiles, tous sont cloisonnés et jugés par le prisme de leur religion, tous sont déchirés de l’intérieur par des enjeux moins identitaires que socio-économiques, tous sont sujets de l’administration interne de leur clan confessionnel, tous revendiquent l’égalité et la citoyenneté mais s’acharnent à préserver leurs singularités.
Véritable laboratoire du fait minoritaire, le XIXe siècle laisse en héritage des questions non résolues, depuis lors, au sud et à l’est de la Méditerranée. Les conflits persistants en Turquie, au Liban, en Palestine, en Syrie, en Irak n’y sont que les expressions violentes de la dialectique dominant / dominé, majorité / minorité. Cet ouvrage exigeant en donne de nombreuses clés d’interprétation.
Pascal Maguesyan1
Note de la rédaction
1 Pascal Maguesyan, journaliste, auteur-photographe, est l’auteur, notamment, de Chrétiens d’Orient : ombres et lumières et Sur le chemin de Guiragos, livre qu’il a présenté sur France Culture, le 12/08/2018 dans l’émission Chrétiens d’Orient ainsi que son travail de chef de projet en Irak avec l’association Mesopotamia Héritage en vue de réaliser un inventaire du patrimoine des communautés fragilisées, chrétiennes et yézidies (durée : 23 min.) Ecouter aussi sur RCF : Mesopotamia, foi et patrimoine des chrétiens d’Irak (émissions de 12 min). Il a publié le livre : Mesopotamia : une aventure patrimoniale en Irak /Pascal Maguesyan, sous la direction de.- Première partie, 2020. Lire aussi sa recension de : Minorités d’Orient : les oubliés de l’Histoire /Tigrane Yégavian.