Titre
Les questions que se posent les jeunes sur l’islamSous titre
Itinéraire d’un profAuteur
Hicham Abdel Gawad ; préface de Rachid BenzineType
livreEditeur
Waterloo : La Boîte à Pandore, 2016Nombre de pages
321 p.Prix
18,90 €Date de publication
30 mai 2019Les questions que se posent les jeunes sur l’islam. Itinéraire d’un prof
Un livre passionnant à lire car il mêle l’itinéraire personnel d’un jeune français musulman désireux de comprendre sa foi, à travers différentes étapes, et ses interrogations lorsque, devenu professeur de religion islamique en Belgique, il doit faire face à des élèves. La troisième partie témoigne de son intelligence pédagogique et théologique pour mettre en œuvre une attitude et des éléments de réflexion à destination des jeunes musulmans.
Hicham Abdel Gawad, dans cet ouvrage, veut témoigner que « la théologie islamique classique actuelle ne se donne pas les moyens de répondre de façon convaincante aux questionnements des jeunes musulmans d’aujourd’hui. » (p. 13-14)
La première partie relate son itinéraire personnel de jeune français musulman dans le monde d’après le 11 septembre 2001. Ce jeune, issu d’une famille profondément croyante mais peu pratiquante, ne bénéficie ni dans sa famille ni dans le milieu scolaire laïque d’une formation religieuse alors que partout il est question de l’islam. Un DUT d’électronique en poche, ce jeune s’intéresse à la pensée religieuse ; après avoir été mis en contact avec la littérature salafiste répandue dans toutes les librairies islamiques, des rencontres le poussent à désirer se former dans un cadre universitaire. Ainsi passe-t-il par l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Confronté aux méthodes historico-critiques de lecture du texte du Coran, il se trouve devant un choix qu’il formule ainsi : « Il me fallait faire un choix : revenir à la tradition islamique classique et oublier ce que j’avais appris à l’ULB ou assumer complètement l’approche scientifique, y compris dans ce qu’elle oblige à abandonner de dogme. J’ai choisi d’assumer. » (p. 74). Ensuite à l’Université Catholique de Louvain (UCL), il se forme en sciences islamiques et se passionne pour un master en science des religions. Il y découvre à travers la théologie catholique, la possibilité d’articuler le croire et le savoir, de développer une intelligence de la foi.
Master en poche, il réussit le concours pour devenir professeur de religion islamique et mettre en œuvre son projet : « l’occasion de donner aux jeunes une partie du bénéfice de tout ce cheminement personnel afin qu’eux aussi trouvent leur moi souverain, de préférence en moins de temps que j’ai mis et sans passer par la case du salafisme. » (p. 98). C’est l’objet de la seconde partie : son expérience d’enseignant face d’abord au désintérêt des jeunes pour la religion : « Monsieur depuis quand on travaille en cours de religion ? » (p. 109). Mais, Il avoue finir sa première année d’enseignement « lessivé ». Il découvre que l’enjeu principal est d’établir la confiance avec ses élèves devant « le triple défi de la discipline, du relationnel à établir avec les élèves et de la concurrence des autres discours sur la religion. » (p. 122)
Dans la troisième partie, la plus longue, il part de questions simples formulées par ses élèves pour tenter d’y apporter une réponse qui leur fait faire un cheminement de réflexion. Il s’aide des outils qu’il a acquis durant ses études pour les ouvrir à une autre compréhension de ce qu’est la Parole de Dieu, les ouvrir à une lecture symbolique du Coran, notamment. Il apporte des éléments de réflexion à dix questions posées par des jeunes, dont celles-ci, par exemple : « Si Jonas a été avalé par une baleine durant 3 jours et 3 nuits que mangeait-il ? »… « Un imam dit que la terre est fixe, c’est vrai ? »… « Si le Coran est parfait, comment se fait-il que tant d’horreurs soient commises en son nom »,… « Les non-musulmans vont aller en enfer, c’est vrai ? »
Ses questions lui permettent de proposer un chemin de réflexion qui aborde des positions théologiques de fond à propos de la parole de Dieu, de l’anthropologie et de la place de la femme, du rapport entre le Livre religieux et la science, l’autorité du religieux différente de celle du scientifique, la signification de croire en Dieu, la falsification ou non des Écritures chrétiennes et juives, la place de la violence. À chaque fois, il utilise les sciences humaines et met en évidence le pluralisme des interprétations du Coran : « l’erreur des fondamentalistes, et même de l’orthodoxie » c’est de croire que les exégètes ont mis un point final aux sens du Coran. Ils ne se rendent pas compte que les exégètes n’ont vu que ce qu’ils ont pu ou voulu voir. » ( p. 258)
À travers les séances qu’il a avec ses élèves, son objectif est le suivant : « S’ils sont musulmans, mon but est que leur pratique de l’islam soit un moteur dans leur vie et non un frein. S’ils sont non-musulmans, mon but est de leur faire constater que l’islam peut être autre chose que ce que les traditionalistes en font. » ( p. 267)
Puisque « la théologie islamique actuelle ne se donne pas les moyens de répondre de façon convaincante aux questions des jeunes musulmans d’aujourd’hui » (p. 13-14), son souci est de développer la lecture historico-critique du Coran, «certains y verront un blasphème, moi j’y vois un moyen de rendre intelligible et audible un texte et d’attribuer à Dieu uniquement ce qui lui appartient… et pas autre chose. » (p. 277)
« Être professeur de religion islamique, c’est une mission. Une mission d’être la bonne rencontre pour les jeunes ou tout du moins l’une des bonnes rencontres qui marquent suffisamment la personne pour lui donner l’impulsion de croire avec intelligence » (p. 317).
Ce livre rend bien compte de la double dimension de la « mission » qu’Hicham Abdel Gawad entend poursuivre, à la fois relationnelle et intellectuelle, croyante et « scientifique ». C’est, en ce sens, un livre rare et passionnant car il conjugue l’expérience de terrain avec des jeunes et la réflexion. Il n’est pas étonnant que Rachid Benzine préface cet ouvrage car on peut y voir la mise en pratique et en œuvre des réflexions des Nouveaux penseurs de l’islam[1] qu’il a contribué à faire connaître en France.
Christophe Roucou
ISTR de Marseille
[1] Réédité en poche, en 2008, par Albin Michel. Cliquer ICI.
Lire aussi les recensions sur notre site de plusieurs de ses livres en tant qu’auteur, coauteur ou préfacier. Cliquer sur les titres :
- – Le Coran expliqué aux jeunes (2013) ; Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? (2016) ; avec Christian Delorme :
- – La République, l’Église et l’Islam. Une révolution française (2016) ; avec Delphine Horvilleur :
- – Des mille et une façons d’être juif ou musulman (2017) ; avec Ismaël Saidi :
- – Finalement, il y a quoi dans le Coran ? (2017) ; préfacier du livre d’Anne-Bénédicte Hoffner : Les nouveaux acteurs de l’islam (2017)