Titre
Des mille et une façons d’être juif ou musulmanSous titre
DialogueAuteur
Delphine Horvilleur, Rachid Benzine ; avec le concours de Jean-Louis SchlegelType
livreEditeur
Paris : Seuil, 19/10/2017Nombre de pages
244Prix
19 €Date de publication
23 octobre 2018Des mille et une façons d’être juif ou musulman
Ce livre est un étonnant et beau dialogue entre Delphine Horvilleur, une des très rares femmes rabbin, et l’islamologue Rachid Benzine. Dans cet échange qu’anime Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions et directeur de la rédaction de la revue Esprit, il est beaucoup question d’identité et de tradition, de liberté et de pluralisme, d’éthique et de responsabilité. D. Horvilleur et R. Benzine se rejoignent à chaque fois sur l’essentiel, tout en sachant faire appel à la tradition intellectuelle et spirituelle de leur propre religion pour éclairer d’un jour original les différents thèmes abordés.
L’un et l’autre sont minoritaires dans leur famille religieuse et spirituelle. Elle, en tant que juive libérale ; et lui, comme musulman pétri de la culture des Lumières, qui rappelle, avec Kant, que « penser par soi-même est la chose la plus difficile ». Ensemble, ils l’affirment : il faut réhabiliter la pluralité au sein de chacune des traditions religieuses. Car « tant que la voix religieuse sera confisquée par certains, elle sera une malédiction pour la société ».
Rachid Benzine[i] le souligne : contrairement à ce que croient les fondamentalistes, la tradition coranique première avait « une épaisseur plurielle ». Chacune des grandes religions a eu une « préhistoire » qui la relie aux religions précédentes, dont elle s’est en partie nourrie. Le mélange est présent dès les origines ! Et il dénonce la révolution conservatrice opérée par l’islam salafiste ou wahhabite, pour qui « la visée éthique de l’islam disparaît au profit de sa dimension normative » (p. 74). Et cela alors que beaucoup des règles de l’islam sont en réalité des règles de la société des premiers siècles de l’islam.
Delphine Horvilleur relève, pour sa part, que le judaïsme n’a aucune difficulté à interpréter le texte de la Torah, et que malgré des tensions entre les sensibilités différentes, toutes ont conscience de faire partie d’un même judaïsme. De leur côté, les pratiques et rites juifs portent souvent très nettement la marque des milieux géographiques et culturels où ils sont apparus. Mais elle souligne les risques d’un ritualisme qui pour certains devient compulsif et obsédant, alors que le rite devrait être porteur de sens.
Pour les deux auteurs, le repli communautaire et une pratique hyper-ritualisée constituent une réelle menace pour chacune des religions, mais aussi pour le vivre ensemble. Les discours fondamentalistes « assignent les gens à résidence » et dressent des barrières entre les groupes sociaux. Or pour la Torah comme pour le Coran, soulignent nos deux auteurs, l’homme est appelé à ne pas revenir au lieu d’où il vient. Il doit savoir s’éloigner des siens, dans cette attitude spirituelle d’ouverture à l’autre, dont notre monde a tant besoin.
Passionnant de bout en bout, ce livre traduit une belle rencontre[ii] et révèle une profonde complicité. Il illustre pleinement comment, et à quelles conditions, la diversité des traditions religieuses, ici le judaïsme et l’islam, peut s’avérer constructive et féconde.
Bertrand Wallon
[i] Plusieurs de ses livres ont fait l’objet d’une recension sur notre site :
- Par Bertrand Wallon :
Le Coran expliqué aux jeunes.-Seuil 2013
La République, l’Eglise et l’Islam. Une révolution française.- Bayard, 2016 (écrit avec Christian Delorme).
Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? .-Seuil, 2016
- Par Christophe Roucou :
Finalement, il y a quoi dans le Coran ?.-La Boîte à Pandore, 2017
[ii] Ecouter Delphine Horvilleur et Rachid Benzine, invités par Le Monde des religions, le 24/10/2017 (60 mn)