Titre

L'échec d'une utopie

Sous titre

Une histoire des gauches en Israël

Auteur

Thomas Vescovi ; [préface par Michel Warschawski]

Type

livre

Editeur

Paris : la Découverte, 2020

Collection

Cahiers libres

Nombre de pages

366 p.

Prix

22€

Date de publication

4 avril 2023

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L’échec d’une utopie : une histoire des gauches en Israël

Comment la gauche en Israël s’est-elle délitée au point d’être présentée sous le jour d’une “régression” d’Israël comme Etat et comme société ? Pour Thomas Vescovi, l’influence sioniste travailliste s’est effacée au profit d’alliances entre nationalistes et religieux. L’utopie du sionisme de gauche qui avait pour ambition de fonder un Etat pour les Juifs sur des bases socialistes s’est effacée. Pourtant, la gauche a joué un rôle majeur dans l’histoire d’Israël dont l’ouvrage retrace le déroulement très documenté depuis la naissance du sionisme, alors pensé comme un mouvement de libération pour des populations persécutées.

En Palestine, le projet sioniste encadre la vie collective par un réseau de kibboutzim. Opposé à la reconnaissance d’un sentiment national arabe, il provoque chez les intéressés une violente colère que suscite l’idée d’un partage de la Palestine rejetée de part et d’autre. Après la seconde guerre mondiale et le traumatisme du génocide, la victimisation cède la place à la mobilisation pour faire triompher le projet sioniste. La guerre de 1948 aboutit après une succession de massacres et d’expulsions arabes (la Nakba1) à l’indépendance d’Israël.

L’afflux de milliers de juifs orientaux, dont les faveurs penchent vers les partis religieux ou de droite, incite les partis de gauche, pris en étau entre régime militaire et enjeu électoral, à séduire les voix arabes. Le mythe socialiste s’estompe avec un recentrage politique vers le centre et le déclin du modèle du kibboutz. La guerre des Six jours (1967) unit la gauche et la droite dans l’expansionnisme. Les premières colonies datent de 1968. Après la guerre du Kippour (1973), le pouvoir travailliste s’oriente non plus vers la colonisation mais vers des plans de paix, sans succès. En revanche, les mouvements religieux œuvrent pour la colonisation. En 1975, l’ONU assimile le sionisme à une “forme de racisme et de discrimination raciale”, à la stupéfaction de la gauche sioniste.

Les frustrations des juifs orientaux, les hésitations sur l’occupation, la progression du nationalisme religieux, la libéralisation de l’économie portent au pouvoir la droite nationaliste et le Likoud (1977). Différents événements écornent l’image d’Israël : la guerre du Liban en 1982, la première Intifada (1987-1993). A gauche, une solidarité civile s’organise avec la révolte palestinienne et favorise la formation d’un “camp de la paix” divisé mais puissant. B’tselem (“A l’image de”) est fondé en 1989 pour documenter les violations des droits dans les Territoires occupés.

La société israélienne recherche de nouveaux horizons. De retour au pouvoir en 1992, les travaillistes engagent le processus d’Oslo dans une stratégie de séparation plutôt que de coexistence avec les Palestiniens2. Les illusions d’Oslo s’évanouissent avec l’assassinat, le 4 novembre 1995, du Premier ministre travailliste, Yitzhak Rabin.

En 1996 Netanyahou est élu Premier Ministre et axe un “néosionisme”» sur la défense des “terres bibliques”. En 1999, une droite divisée permet la formation d’une coalition centre gauche sionisme qui mine les espoirs de gauche. Ariel Sharon étouffe la révolte palestinienne et lance, en 2002, la construction d’un mur de séparation long, à ce jour, de plus de 500 km entre Israël et la Cisjordanie occupée. Après les attentats du 11 septembre 2001 qui alimentent le ressort du terrorisme international, droite et gauche sioniste se rejoignent dans un projet commun conjuguant isolement et répression des Palestiniens.

De nouvelles formes de mobilisation apparaissent néanmoins. Depuis 2004, l’ONG Breaking the silence (Briser le silence) vise à collecter les témoignages de soldats israéliens dans les Territoires occupés. En 2005, Israël est confronté à l’appel palestinien BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). Ces initiatives marquantes y suscitent une hostilité grandissante à l’égard du monde extérieur. Les gauches sont impuissantes face à la droitisation israélienne, soulignée en 2009 par la victoire de Netanyahou. En 2014, il s’engage à Gaza dans une opération meurtrière contre les Palestiniens. Les réactions internationales mobilisent la gauche dont on ne sait si celle-ci s’indigne devant les frappes israéliennes ou si elle ressent de la honte suite aux critiques extérieures. Le soutien de l’extrême droite renforce les partisans de la colonisation et d’un Etat exclusivement juif. En 2018, une nouvelle loi définit Israël comme un “Etat-nation du peuple juif”. C’est une légalisation de l’apartheid3 et la formalisation d’un discours colonial.

Les valeurs socialistes disparaissent devant celles du nationalisme religieux. Le principe de laïcité est battu en brèche. L’exigence de solidarité entre les différentes composantes de la population est secondaire. L’économie s’est intégrée au capitalisme occidental. Aucune force ne semble pouvoir combattre la politique coloniale et ultra-sécuritaire de Netanyahou.

Pour l’auteur, la survie de la gauche israélienne passe par la prise en compte des aspirations palestiniennes. Mais pense t-il convaincre ? En effet, il s’agit d’un véritable défi car la défense d’une majorité juive et de ses privilèges est aujourd’hui considérée en Israël comme prioritaire, alors qu’une réforme judiciaire controversée – qui permettrait à la Knesset d’agir sur la sélection des juges et limiterait les prérogatives de la Cour suprême – menace le caractère démocratique de l’Etat d’Israël4.

Henri Marchal5

 

Notes de la rédaction

1 Cf. La mémoire de la Nakba en Israël : le regard de la société israélienne sur la tragédie palestinienne /Thomas Vescovi.- L’Harmattan, 2015.-(Comprendre le Moyen-Orient)

4 Lundi 27/03/2023, face aux manifestations, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a suspendu, pour le moment, son projet de réforme de la justice.

5 Henri Marchal, né à Rabat, est Conservateur général honoraire du Patrimoine (Musées de France). Président de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer en 2019. Ancien membre du C.A. et Trésorier du CVPR-PO : Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient. Lire sa précédente recension : Israël : contradictions d’une démocratie coloniale /Numéro dirigé par Dominique Vidal.- L’Harmattan, mai 2022.-(Revue Confluences Méditerranée ; n°119)

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