Titre

L’Adieu au Levant

Auteur

Tigrane Yégavian

Type

livre

Editeur

Paris : l'Harmattan, 2022

Collection

Accent tonique. Poésie

Nombre de pages

81 p.

Prix

12€

Date de publication

31 décembre 2023

En savoir plus

L’Adieu au Levant

Dans son deuxième recueil de poèmes, Tigrane Yégavian1 explore le crépuscule du Levant. Ses vers, libres, sont ceux d’un apatride que les vents transportent d’Erevan à Lisbonne, en passant par Alep, Beyrouth, Goris et Paris. L’auteur semble avoir écrit non point avec de l’encre mais avec son propre sang. Cet Orient qu’il dévoile est aussi et surtout son Levant intérieur, sa matrice, sa chair, sa boussole. Une boussole qui ne semble pas pouvoir donner un cap ! Dans le labyrinthe de sa correspondance, Tigrane Yégavian nous transporte dans un univers intime, dont il est difficile de sortir apaisé. Il nous invite aussi à chercher dans les entrelacs de son art poétique des ponts entre l’Adieu et l’Espérance.

“Dans cette chambre qui rapetisse à vue d’œil. Nous avons perdu toute réalité. Comme si nous étions promis à nourrir une chimère qui a pour nom Pays. Et d’arpenter cette terre en jachère sans arche ni déluge.” Dans cette figure allégorique du pays arménien, l’auteur décrit par anticipation le précipice dans lequel est jeté son pays nourricier, l’Arménie. Non pas un territoire clos par des frontières ridicules, mais celui plus vaste sur le granit duquel a été édifié une nation. Il y a aussi du désespoir à le lire : “Seul, sans présent, ni refuge, Le poing fermé, Banni”.

Et, dans sa narration, souvent, l’auteur navigue au gré des mots entre un Pays de chair et de sang, un Visage disparu, un Amour déchiré, une âme errante. C’est toute la subtilité de ce livret que d’emmener le lecteur dans un labyrinthe de sens, par le seul pouvoir des mots.

À qui parle donc l’auteur quand il écrit ces vers : “Ouvre grand tes bras et je te dirais Que j’habite une âme morcelée, Entre montagne et désert, Entre mer et soleil” ? À lui-même, à autrui, à Dieu ? Quelle est cette âme en vrac qu’il livre à la morsure poétique ? Et toujours cette Question récurrence, entêtante : “De quel pays suis-je le nom ? Mon pays c’est la nuit.” Oui, c’est évident, l’auteur est en quête. Mais que cherche-t-il ? Une main secourable, un horizon de paix, une étoile pour le guider ? “Je pars en quête d’unité de la chair et du sens”. Et puis, au fil des maux, survient un mot décisif, la “perte”. Le poète éclaire l’insondable : “Le jour où je t’ai perdue. La nuit s’est tue”. Dans ses poèmes, point de spleen mais des spasmes, parfois déchirants. Il suffit, s’insurge le poète : “Existe-t-il seulement des abris antidouleurs ? Plage déserte, oasis miraculée Où l’espérance est une vertu Le pardon une force ?”

Tel le Prophète de Gibran2, l’auteur sait le moment : “La marée monte, enfin Je sais que je vais partir”. S’il parle ici depuis Lisbonne, le poète parle aussi en paraboles des cités du Levant, Beyrouth et Alep auxquelles il dit “Adieu”. Il parle évidement d’un Pays en lambeaux, l’Arménie. Il parle enfin et surtout d’un être de chair, un être tant aimé devenu invisible : “Attendre la guérison de son frère. Mais le miracle ne se produisit pas”.

Tout semble s’amalgamer pour révéler un paysage intérieur, un tourment protéiforme et plus que tout la quête de Salut d’un poète qui ne veut pas être maudit : “Alcool et poèmes font bon ménage le vendredi soir”.

Au crépuscule du Levant, que pourra-t-il survivre ? “Nous n’avons plus de tombe à fleurir Plus de maison à liquider Plus de cousine âgée à qui rendre visite”. Souvent le poète s’abandonne à la mélancolie d’un Orient qui le consume : “En Orient nous mourrons à deux reprises La première fois de solitude La seconde de nostalgie”.

Reste-t-il à l’auteur un ultime refuge, une nouvelle voie, un chemin d’Espérance ? “Le pardon libérateur Et la promesse d’un retour possible.”

Pascal Maguesyan3

Notes de la rédaction

1 Diplômé de Sciences Po Paris et des Langues’O, Tigrane Yégavian est né à Paris. Il a grandi entre le Portugal, la Suisse, la Syrie et la France. Chercheur à l’Institut Chrétiens d’Orient (ICO), il est journaliste et arabisant. En 2010, il a publié Insolations au Cercle d’écrits caucasiensEn 2022 L’Adieu au Levant est son second recueil de poèmes. Il était l’invité de Sébastien de Courtois, dimanche 14 août 2022, dans l’émission Chrétiens d’Orient sur France Culture. Voir ses autres livres..

Tigrane Yegavian a évoqué le génocide arménien de 1915 lors du remarquable hommage rendu par France 2 à l’Arménie, le 31/08/2023, dans l’émission actuellement diffusée en replay et disponible jusqu’au 02/04/2024 : Le Grand échiquier spécial Arménie

2 Cf. Ré-édition illustrée par Zeina Abirached : Le Prophète/ Khalil Gibran .-Seghers,12/10/2023 et ré-édition en Poche : Le Prophète / Khalil Gibran.- Fayard, 2023.- (1001 Nuits).

https://www.rfi.fr/fr/podcasts/litt%C3%A9rature-sans-fronti%C3%A8res/20231020-le-proph%C3%A8te-de-khalil-gibran-f%C3%AAte-ses-100-ans-avec-zeina-abirached

3 Pascal Maguesyan, journaliste, auteur-photographe, est l’auteur, notamment, de Chrétiens d’Orient : ombres et lumières et Sur le chemin de Guiragos, livre qu’il a présenté sur France Culture, le 12/08/2018 dans l’émission Chrétiens d’Orient ainsi que son travail de chef de projet en Irak avec l’association Mesopotamia Héritage en vue de réaliser un inventaire du patrimoine des communautés fragilisées, chrétiennes et yézidies (durée : 23 min.). Ecouter aussi sur RCF : Mesopotamia, foi et patrimoine des chrétiens d’Irak (émissions de 12 mn). Il a publié le livre : Mesopotamia : une aventure patrimoniale en Irak /Pascal Maguesyan, sous la direction de.- Première partie, 2020. Lire aussi sa recension de : Minorités d’Orient : les oubliés de l’Histoire /Tigrane Yégavian.

Retour à l’accueil