L’Europe face à l’Islam : histoire croisée de deux civilisations, VIIe-XXe siècle.

“Entre l’Europe et l’Islam, il n’y a ni séparation durable ni cloison étanche…”.

Olivier Hanne conclut ainsi une démonstration documentée, suggestive et accessible qui ne sera pas sans rappeler des échanges menés au sein du réseau Chrétiens de la Méditerranée lors d’universités d’hiver passées, notamment à Marseille, en 2012 (cf. L’islam en Europe, entre peur et dialogue)¹.

Agrégé et docteur en histoire, associé à l’université de Poitiers, Olivier Hanne, auteur de plusieurs ouvrages², fait preuve une nouvelle fois d’une grande qualité pédagogique. Avec pour toile de fond les vagues récentes d’attentats, ce nouvel ouvrage éclairera bien des débats qui agitent notre société occidentale contemporaine.

Sans prétendre à l’exhaustivité mais non sans éviter pour autant les impératifs d’une analyse historique fine et documentée, L’Europe face à l’Islam est de lecture facile. Et bien qu’au risque d’un certain étourdissement, cette “histoire croisée” de l’Islam et de l’Europe offre la possibilité d’entrer par un biais comparatiste, presque en miroir, dans la complexité du premier et plus particulièrement des mondes moyen-orientaux. Olivier Hanne met ici à profit sa vaste culture médiévale, comme sa maîtrise de la langue arabe, pour accompagner pas à pas, en trois parties, un lecteur et citoyen européen qui pourrait se sentir légitimement déboussolé par ce qui constitue en fait une anthropologie différente.

Olivier Hanne commence donc dans un premier temps par comparer les repères. Avec des repères temporels et géographiques distincts, l’Europe et l’Islam n’envisagent pas, par exemple, la frontière et l’identité sous les mêmes angles. On verra aussi que le maintien des structures tribales et du nomadisme est une caractéristique des pays d’Islam tandis que “les Européens, eux, précocement privés d’identité tribale, n’attendent de secours que de leur famille, des solidarités locales et surtout de l’État. En revanche, les deux univers n’ont jamais réussi à assumer leurs prétentions à une solidarité religieuse transverse et au dépassement des identités ethniques, même si celles-ci ont pris des formes distinctes” (p. 108). L’ouvrage ne cherche donc pas à niveler des différences mais à mettre en lumière la construction souvent complexe, “toujours incertaine”, de ces deux univers mentaux.

“Pourtant, certains réflexes religieux acquis ont marqué l’histoire de ces deux civilisations et ont influencé leurs références culturelles, si bien que l’on peut effectivement parler de critères d’appartenance” (p. 128). De manière croisée, Olivier Hanne aborde ses références “autour des grands sujets qui touchent l’être humain en société : Dieu, la sacralité et l’éthique”. L’auteur questionne ainsi la foi, la place du Livre et de la langue d’un côté et des références inconscientes du côté européen : la romanité, le christianisme et l’idéal impérial. Ces divergences qui vont aller croissant à l’époque moderne : “A partir du XVIe siècle, la question de l’éthique et de la conscience connaît des réponses de plus en plus tranchées en Islam, renforçant les contrastes déjà acquis avec l’Europe moderne” (p. 256).

La troisième partie de l’ouvrage est consacrée aux appartenances. L’auteur y traite des relations entre la communauté des croyants et le pouvoir politique. Mobilisant encore un vaste corpus, Olivier Hanne approche successivement l’Église et l’Umma³ avant de se pencher sur la définition de la loi et de l’État.

De ces paragraphes parfois ardus se dessine cependant progressivement l’une des thèses majeures de l’auteur : “On croit généralement que la religion est ce qui sépare le plus nettement les civilisations européennes et islamique. Or, si évidemment l’islam et le christianisme se distinguent directement en tant que religions, il faut affirmer que le critère déterminant de discrimination culturelle et politique entre les deux univers est l’État. L’État et rien d’autre… ” (p. 318). Au fil de la lecture, ce qui apparait ainsi comme essentiel dépasse le religieux proprement dit et ce n’est pas la moindre contribution de cet ouvrage.

Rémi Caucanas⁴

Notes de la rédaction

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