Titre

Chrétiens et musulmans en Méditerranée

Sous titre

Ombres et lumières de l’entre-deux guerres (1919-1939)

Auteur

Rémi Caucanas ; préface de Mgr Jean-Marc Aveline

Type

livre

Editeur

Marseille : Publications Chemins de Dialogue, sept. 2017

Nombre de pages

220

Prix

15 €

Date de publication

6 septembre 2018

Chrétiens et musulmans en Méditerranée

Après un premier livre sur « la dimension islamo-chrétienne du dialogue méditerranéen au XXe siècle[1] », Rémi Caucanas nous offre un deuxième ouvrage centré sur la période 1919-1939, période où « les positions basculent et où le paradigme de la relation dialogale commence à prendre le pas sur celui de la relation coloniale ». Il montre comment, sur la période de l’entre-deux-guerres, vont évoluer les mentalités, du triomphalisme chrétien de la période coloniale dans une position de dénigrement de l’islam, vers une attirance, puis à une véritable reconnaissance qui conduira le Concile Vatican II en 1965 à regarder avec estime les musulmans, cf. Nostra Aetate[2].

Rémi Caucanas puise largement dans L’Écho de Notre-Dame de La Garde, bulletin du diocèse de Marseille de 1881 à 1944, la ville ayant tenu une place de premier plan comme port et tête de pont de l’aventure coloniale. Durant cette longue période, le bulletin relaiera l’essentiel de ce qui pourra se passer dans la sphère chrétienne française au Maghreb, mais aussi au Moyen-Orient. L’exploitation minutieuse de cette source méconnue est un des intérêts du livre.

La colonisation se déploie dans ces pays d’islam mais l’islam est marginalisé, évacué de l’horizon colonial au profit d’une mise en valeur de la chrétienté et de la civilisation occidentale. Cette situation conduit d’un côté, à un dénigrement de l’islam par l’occident et de l’autre, à une perception de l’Église par les musulmans comme étant intimement liée à la démarche coloniale.

À mi-parcours de la période d’une vingtaine d’années traitée par l’auteur, le christianisme est triomphant ; le point d’orgue est sans doute la tenue du Congrès eucharistique de Carthage, en 1930, année anniversaire des 100 ans de l’arrivée de la France à Alger. L’événement fut grandiose. De leur côté, les structures missionnaires suivent le déploiement colonial avec des visées apologétiques, inspirées par l’exemple de Charles de Foucauld.

Dans le même temps, les mandats français au Levant, Syrie et Liban, vont permettre aux chrétiens occidentaux d’y développer leur présence. Sans tenir aucun compte de la longue histoire des chrétiens orientaux, ils vont s’attacher à leur apporter un simple soutien humanitaire, et leur attitude sera le plus souvent perçue comme condescendante et purement colonialiste.

La période de l’entre-deux guerres est bien une période de basculement. L’Algérie est colonisée depuis une centaine d’années, la Tunisie depuis près d’un demi-siècle. Depuis peu, la France est au Maroc, présente au Liban et en Syrie. Dans un climat général de crise, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, malgré un triomphalisme affiché, le doute s’installe sur le front colonial, à propos notamment des bienfaits de la civilisation moderne, doute perceptible tant du côté des musulmans que du côté des chrétiens du sud de la Méditerranée.

Pour l’Église catholique, le moment est aussi celui des questionnements sur l’universalisme du christianisme et sur sa place dans le concert des religions, et sur le modèle missionnaire colonial. Ces questionnements féconds inspireront les grands textes du Concile Vatican II (1962-1965).

Cette période est aussi celle où nombre d’intellectuels remettent en question la notion de la latinité du Bassin méditerranéen, de Mare Nostrum, pour y voir plutôt une unité de civilisation et le lieu d’un nouvel humanisme méditerranéen.

Partant d’un fait colonial bien établi, d’une France encore sûre d’elle-même, malgré les traces profondes laissées par la Grande Guerre, le livre de Rémi Caucanas montre comment l’univers colonial chrétien triomphant va être bousculé par l’histoire pour s’ouvrir de façon nouvelle au monde de l’islam. On trouvera un livre très documenté, annoté de nombreuses références. Il ne manquera pas de retenir l’attention du lecteur qui s’intéresse à l’époque coloniale et au mouvement de décolonisation.

Lorsqu’on regarde l’Église d’Algérie d’aujourd’hui, « une Église dans la société », au service des Algériens[3], telle que l’avait voulue le Cardinal Duval dans la lignée de Vatican II, on prend conscience de tout le chemin parcouru depuis la période de l’entre-deux guerres, évoquée dans le présent ouvrage.

Louis Boulanger

 

[1]Rémi Caucanas, Relations islamo-chrétiennes en Méditerranée, entre dialogue et crispation.Presses Universitaires de Rennes, 2015.

[2] Déclaration conciliaire sur Les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes promulguée le 28 octobre 1965.

[3]Cf. Paroles d’Algérie : Actes de l’université d’hiver, Marseille (24-26/11/2016)