Titre

Les Juifs de France entre République et sionisme

Auteur

Charles Enderlin

Type

livre

Editeur

Paris : Seuil, 2020

Nombre de pages

440 p.

Prix

22,50 €

Date de publication

21 juin 2021

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Les Juifs de France entre République et sionisme

Charles Enderlin est un journaliste bien connu qui a été correspondant de France 2 à Jérusalem de 1981 à 2015. Son livre est dédié à ses grands-parents maternels, réfugiés autrichiens. Il a écrit plusieurs livres autour de la question israélo-palestinienne dont Au nom du Temple en 20131.

Ce livre sur les Juifs de France explore, d’un point de vue historique, les relations qu’entretient cette communauté avec la République française, mais aussi avec le projet sioniste puis, après 1948, avec l’Etat d’Israël. Mais l’auteur élargit son propos en traitant de l’antisémitisme dans l’histoire de France à partir de la fin du XIXème siècle, nécessaire à la compréhension de l’attitude vis-à-vis du sionisme2.

Ce livre très documenté s’appuie surtout sur des extraits de déclarations, d’articles et de livres publiés, ou de témoignages. Ces extraits expriment les débats sur l’antisémitisme, sur le lien des Juifs à la République, sur la dissociation ou non du judaïsme et du soutien à Israël, qui est inconditionnel pour certains tels que Shmuel Trigano qui dénonce en 2007 les alterjuifs comme des traîtres, exprimant une fois de plus les conflits entre Juifs français3.

Les propos des responsables politiques, analystes ou polémistes, rapportés par Charles Enderlin sont éclairants (la lucidité de de Gaulle et de Raymond Aron sur l’impasse de la victoire d’Israël en 1967, avec un État inégalitaire où les Arabes ne sont pas des citoyens à part entière), parfois très étonnants (par exemple la conversion au judaïsme en 1978 à Jérusalem de Benni Levi, secrétaire de Sartre), parfois aussi difficiles à interpréter.

C’est un document extrêmement riche et utile pour qui s’interroge sur les liens entre sionisme et judaïsme, bien que ce ne soit pas à proprement parler un ouvrage d’historien et qu’il comporte une part de subjectivité inévitable dans le choix des citations : il n’y a pas de mise en perspective possible de celles-ci pour savoir ce qu’elles représentent réellement dans la communauté juive ou dans l’ensemble de la société française.

Le livre est découpé en 12 chapitres, eux-mêmes scandés en courtes sections, correspondant aux séquences suivantes, impossibles à résumer :

1. Les combats du franco judaïsme (1830-1900) ; 2. Le franco-judaïsme dans la Grande Guerre (1900-1920) ; 3. Face à la montée des périls (1919-1935) ; 4. Juifs de gauche, Juifs de droite (1936-1937) ; 5. Dans la tourmente antisémite (1938-1939) ; 6. Boucs émissaires de la défaite (1939-1940) ; 7. Juifs français, Juifs étrangers (1941-1942) ; 8. Quand l’espoir change de camp (1942-1945) ; 9. L’option sioniste (1945-1962) ; 10. Après la guerre des six jours (1962-1968) ; 11. Nouveaux Juifs, nouveau sionisme (1968-1987) ; 12. Le franco-sionisme (1992-2018).

Ce travail journalistique historique permet de constater que la question du soutien inconditionnel à Israël par le CRIF4 (déclaration de 1977) ou par certains intellectuels ou activistes n’est pas nouvelle, de même que le refus de toute critique d’Israël qui risquerait, dit-on, d’alimenter l’antisémitisme, alors que d’autres minoritaires, ont exprimé l’idée inverse, tels que Wladimir Rabi, un sioniste de la première heure5, ou l’UJFP6.

Les crispations et conflits autour de ces questions se sont accentués au sein de la communauté juive de France, comme en témoignent les procès pour antisémitisme instruits contre des gens comme Edgar Morin (Charles Enderlin a été lui-même victime de façon honteuse d’un tel procès pour une controverse sur la mort d’un enfant à Jérusalem, mais il ne l’évoque pas dans son livre7).

Dans sa conclusion, l’auteur veut espérer dans le judaïsme libéral en France, par opposition à l’orthodoxie. Mais cela ressemble un peu à une facilité car la lecture du livre suggère que la communauté juive française dans sa diversité ne paraît guère en état d’entrevoir une solution réelle de paix en Palestine. Peut-être alors faut-il questionner le fait même de l’identité juive, dont Delphine Horvilleur8, figure du judaïsme libéral, nous dit ailleurs qu’elle est indéfinissable.

Xavier Godard

Membre du CA de CDM

1 Note de la rédaction.

Lire notre recension : Au nom du temple : l’irrésistible ascension du messianisme juif en Israël. Seuil, 2013

2 Sionisme : « Mouvement du peuple juif visant à la création d’un foyer national juif » (cf. Wikipedia).

De multiples définitions et nuances existent, mais le point le plus sensible du sionisme est la création d’un État juif en Palestine. Lire aussi Histoire du sionisme

4 CRIF : Conseil Représentatif des Institutions Juives de France Cf. Déclaration du CRIF rédigée par Claude Kelman et Annie Kriegel, approuvée le 25 janvier 1977, dont cet extrait cité par Charles Enderlin (p. 350) :

“Un attachement de près de 4000 ans lie l’âme juive à la terre d’Israël et à Jérusalem. Ce lien historique spirituel et vital explique que la communauté juive reconnaisse en Israël l’expression privilégiée de l’Etre juif. Toute menace à l’existence de l’Etat d’Israël est vécue par la communauté juive comme une atteinte à son intégrité, à sa “mémoire collective”, à sa foi, à son espérance, à sa dignité…”

7 Cf. Un enfant est mort : Netzarim, 30 septembre 2000 / Charles Enderlin.- Don Quichotte, 2010

8 Auteur, notamment, de :

Réflexions sur la question antisémite / Delphine Horvilleur.- Paris : Grasset, 2019.

Des mille et une façons d’être juif ou musulman : dialogue / Delphine Horvilleur, Rachid Benzine ; avec le concours de Jean-Louis Schlegel.- Paris : Seuil, 19/10/2017

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