Titre
Au nom du TempleSous titre
Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013)Auteur
Charles EnderlinType
livreEditeur
Seuil, 4 avril 2013Nombre de pages
384Prix
20 €Date de publication
15 mars 2014Au nom du Temple
Charles Enderlin est journaliste et correspondant permanent de France 2 à Jérusalem depuis 1981. Il a publié plusieurs ouvrages particulièrement bien informés sur le conflit israélo-palestinien[1]. Ils s’adressent à un public intéressé par une information solide sur la situation et sur les acteurs du conflit.
Dans son introduction, l’auteur cite une lettre de David Ben Gourion à son fils Amos en 1937 :
“La création d’un État, même limité, servira de levier puissant pour nos efforts en vue de délivrer la terre dans son ensemble… Nous créerons une économie diversifiée… Nous mettrons sur pied une force de défense, une armée exemplaire… Ensuite, j’en suis certain, cela ne nous empêchera pas de nous installer sur les autres parties du pays…”
Charles Enderlin annonce ainsi son intention de raconter “le grand réveil [à partir de 1967] du sionisme religieux, la montée en puissance du fondamentalisme messianique qui, associé à la droite nationaliste, finira par transformer les données du conflit au Moyen Orient.”
L’État démocratique imaginé par Theodor Herzl pour faire des Juifs un peuple que le monde considérerait enfin comme “normal” a suscité l’opposition des militants du mouvement fondamentaliste juif – adeptes du sionisme religieux – pour qui cette “normalité” est à condamner. Le sionisme est pour eux un mouvement religieux à visée eschatologique… même si les sionistes socialistes du début n’en avaient pas conscience. Peu présents dans la politique israélienne des premières années, les sionistes religieux vont y prendre progressivement une place de plus en plus importante.
Le premier geste militant spectaculaire sera l’installation d’un petit groupe religieux à Hébron, en 1968, contre la volonté des autorités israéliennes qui, devant le fait accompli, vont installer près d’Hébron la colonie de Kyriat Arba rassemblant aujourd’hui une population religieuse de 7.500 personnes. À partir de là, la colonisation va se poursuivre plus ou moins discrètement et plus ou moins officiellement. Un enjeu important est le Mont du Temple (Haram al-Sharif[2] pour les musulmans) qui est périodiquement le lieu de divers incidents et conflits éventuellement violents et meurtriers.
Au fil du temps on voit se poursuivre la colonisation et le refus de tout accord avec les Palestiniens. En septembre 1993, Benyamin Nétanyahu, alors président du Likoud, déclare : “Le peuple juif n’a pas lutté pendant 3000 ans pour ce morceau de terre, le sionisme n’a pas vu le jour pour offrir un État à Yasser Arafat.” La droite compare les accords d’Oslo, d’août 1993, à un nouveau Munich. Dans ce climat de tension, un juif, Baruch Goldstein[3], le 25 février 1994, tue 29 musulmans en prière dans le Caveau des Patriarches à Hébron. Un millier de colons assistent à ses obsèques à Jérusalem en criant “Mort aux Arabes !”
Face à cette violence, Yitzhak Rabin renonce à faire partir les colons d’Hébron. Le climat continue à s’envenimer sans que la gauche n’arrive à imposer ses vues. Un accord intérimaire négocié avec les Palestiniens sur l’élargissement de l’autonomie en Cisjordanie est adopté de justesse à la Knesset le 5 octobre 1995. Rabin est finalement assassiné le 4 novembre 1995 par un militant religieux d’extrême-droite.
À partir de là, malgré des problèmes de conscience dans le monde religieux juif, en Israël comme aux États-Unis, le poids du sionisme religieux ne va pas cesser de croître dans le champ politique israélien et de maintenir ainsi l’impasse où demeure le “processus de paix”.
Parallèlement toute critique à l’encontre des actions de l’État d’Israël est devenue intolérable : le Juif Richard Goldstone, coupable d’avoir signé un rapport[4] condamnant des opérations de l’armée israélienne à Gaza (déc. 2008-janv. 2009) a été mis au ban de sa communauté d’Afrique du Sud et a dû se rétracter pour être admis à assister à la Bar Mitzvah[5] de son petit-fils.
Les positions les plus extrémistes trouvent des défenseurs : le 27 juin 2011 plusieurs centaines d’étudiants d’écoles talmudiques d’Hébron et de Kyriat Arba manifestent à Jérusalem en faveur de leur rabbin interpellé pour avoir écrit qu’il est permis de tuer des enfants non-juifs qui en devenant adultes pourraient représenter un danger pour le peuple juif. L’interdiction “Tu ne tueras pas” ne s’appliquerait pas dans ce cas.
Voilà un livre qui permet d’entrer dans le vif du conflit israélo-palestinien, côté israélien, en soulignant le rôle déterminant et le poids sans cesse croissant, dans la conduite de la politique de l’État d’Israël, du sionisme religieux, associé à la droite et à l’extrême droite.
C’est un ouvrage richement documenté – comme toujours chez Charles Enderlin – et qui, de plus, manifeste un grand souci d’objectivité.
Fred Lucas
[1] Cf. Bibliographie ci-dessous.
[2] Le « Haram al-Charif » ou Esplanade des mosquées – où s’élève la mosquée Al-Aqsa – est, à Jérusalem, le troisième lieu saint musulman après La Mecque et Médine.
[3] Sioniste religieux d’origine américaine habitant la colonie de Kiryat Arba, membre du parti Kach et médecin servant dans l’armée.
[4] Désigné par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour établir un rapport sur l’opération militaire d’Israël dans la bande de Gaza, le juge Richard Goldstone a remis ses conclusions le jeudi 15 octobre 2009.
[5] Rite initiatique par lequel le jeune garçon juif marque sa majorité, en principe à 13 ans.
Bibliographie :
- Le rêve brisé : Histoire de l’échec du processus de paix au Proche Orient, 1995-2002.- Fayard, Mai 2002
- Paix ou guerres : Les secrets des négociations israélo-arabes, 1917-1995.- Fayard, Février 2004 (Nvelle éd.).
- Les années perdues : Intifada et guerres au Proche-Orient, 2001-2006.- Fayard, 2006
- Par le feu et par le sang : Le combat clandestin pour l’indépendance d’Israël, 1936-1948.- Albin Michel, Mars 2008
- Le grand aveuglement : Israël et l’irrésistible ascension de l’islam radical.- Albin Michel, Octobre 2009
- Un enfant est mort : Netzarim, 30 septembre 2000.- Don Quichotte éditions, 2010