Les femmes musulmanes ne sont-elles pas des femmes ?

Voilà un ouvrage bienvenu qui tente de faire comprendre de l’intérieur la position difficile des femmes musulmanes à l’heure actuelle au sein de la société. Hanane Karimi, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Strasbourg, y déploie une réflexion intéressante sur la nouvelle laïcité et sa compréhension actuelle qui tend à faire de ces femmes des “ennemies de l’intérieur”, leur refusant l’accès à une citoyenneté pleine et entière, à l’espace public et plus simplement à l’identité de femmes dignes d’avoir des droits.

Depuis l’affaire des foulards de Creil, et jusqu’à aujourd’hui, les législations successives n’ont cessé d’accentuer le contrôle sur les modes d’habillement des femmes musulmanes au sein d’espaces de plus en plus étendus, les excluant du marché du travail, des écoles, des universités ou des piscines et exigeant en quelque sorte une neutralité religieuse dans l’espace public. Dénonçant cette extension qui semble contraire à l’esprit des textes fondateurs du droit français et de la loi de 1905, Hanane Karimi fustige la façon dont ces dispositifs entendent discipliner et domestiquer le corps des femmes. Cette police des corps est pour elle un outil politique redoutable permettant d’ériger une barrière entre les tenants d’une légitimité civilisationnelle et ceux qui en sont dénués. Le fait de porter le voile en France symbolise une altérité irréductible qui expose aux effets sociaux et implique une survisibilisation sociale.

Cette police des corps se traduirait donc par une exigence d’invisibilité qui entraînerait pour celles qui la vivent un sentiment d’humiliation et de rejet social, conduisant à une certaine perte de l’estime de soi. L’injonction à l’invisibilité sociale assignée aux femmes musulmanes qui portent le foulard est vécue dans les interactions quotidiennes. Elles sont interpellées, corrigées ou invisibilisées mais jamais traitées civilement. La réponse apportée peut être une recherche délibérée de respectabilité qui passe par un souci de renforcement de l’affiliation communautaire. Le port du voile rend donc visible cette affiliation, en même temps qu’il est gage de respectabilité.

La femme est donc l’objet d’une double injonction paradoxale, celle de s’émanciper de la culture communautaire en accréditant une vision européenne des cultures, ou l’injonction à la fidélité communautaire, coutumière.

Hanane Karimi évoque les pistes possibles de résistance que ces femmes élaborent ensemble comme les espaces non-mixtes de survie, de reconstruction et de résilience, les groupes d’entraide à l’auto-entreprenariat, mais aussi le jeu avec des vêtements susceptibles d’atténuer le sens religieux des objets portés avec des chapeaux, des bérets, des turbans. Cela conduit aussi à des gestes de résistance, les amenant à prendre le voile là où il est indésirable et à ne pas le mettre là où il est désirable, utilisant l’ordre symbolique pour le dévoyer, façon d’en manifester la maîtrise.

Pas de doute que cet ouvrage¹ – qui s’appuie sur de nombreuses études sur le sujet, mais aussi sur des témoignages très forts -, alimentera bien des débats au sein des courants féministes et beaucoup plus largement, en modifiant aussi quelques représentations bien ancrées dans la société.

Bénédicte du Chaffaut²

Notes de la rédaction