La démocratie sous les bombes : Syrie, le Rojava entre idéalisation et répression.

Autant prévenir le lecteur, l’ouvrage recensé n’est pas facile à lire pour les néophytes -notamment les cinq premières contributions -, mais pour celui qui prend le temps et fait l’effort de se documenter afin d’aller jusqu’au bout de sa lecture, ce livre est capital et incontournable pour comprendre l’histoire et la lutte des Kurdes, un peuple de 35 millions d’âmes, en quête d’un Etat, répartis principalement entre la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie.

C’est sur le Nord et l’Est syrien, sur un territoire de 50 000 km2, le Rojava, que les auteurs abordent l’histoire kurde. La raison est que cette région constitue la première tentative de bâtir une fédération démocratique pour ce peuple discriminé et nié par les pays du Proche-Orient, des accords Sykes-Pycot de 1916¹ aux traités de Sèvres (1920)² et de Lausanne(1923)³.

A la base de cette volonté se trouve un homme : le leader kurde Abdullah Ocalan, né en 1949, dans la province de Mardin en Anatolie (Turquie). Une personnalité hors norme, fondateur en 1978 du Parti des Travailleurs du Kurdistan, le PKK, arrêté et tenu en prison par le gouvernement turc depuis 1999.

Issu du marxisme-léninisme, Ocalan, converti au confédéralisme démocratique en 2005, rédige de sa prison la première charte nationale kurde – une Constitution, ou Contrat social-, qu’il rend publique en janvier 2014.

Dans les trois cantons du Kurdistan syrien libérés depuis 2012 (Afrin, Kobané, Hassakeh), des communes et des Assemblées sont créées : une première pour le peuple kurde, plus familier des structures familiales et tribales, que d’une communauté citoyenne, ayant une vision étatique, et un souci du bien commun. Pour la première fois également, le texte de cette constitution fait du Rojava une fédération, partie intégrante, et non plus ennemie, de la Turquie.

Ce contrat social donne aux femmes une place et un rôle prépondérant dans la société : parité totale dans les assemblées et l’organisation des communes, mais aussi dans les factions combattantes ; en témoignent ces brigades féminines armées, les YPJ, qui ont affronté et vaincu les islamistes de Daëch (l’Etat islamique) en 2013 et 2014, durant le long siège de la ville martyre de Kobané.

Grâce aux Kurdes du Rojava et au combat victorieux de ses combattantes et combattants à Kobané, l’image de la cause kurde a bien changé en Occident, passant du qualificatif de terroriste à celle du héros libérateur, protecteur des droits humains, et libérateur de la dictature islamiste. Ce changement sera-t-il suffisant pour que les Kurdes accèdent enfin à une reconnaissance de la communauté internationale ?

Les réticences et les obstacles à cette heureuse finalité sont légion. Au refus des Etats dominants (la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie) de prendre en compte et de légaliser l’identité spécifique des Kurdes, s’ajoutent les rivalités internes entre les différents clans kurdes et arabes, les mentalités tribales des chefs de tribus, réticents à se convertir à une citoyenneté qui mettrait fin au népotisme, aux mariages précoces et à la polygamie. Sans compter le ras-le-bol d’une grande partie de la population, épuisée par les guerres et ses désastreuses conséquences sur la vie quotidienne.

Si l’avenir du Rojava est incertain, la tentative de réaliser une entité démocratique constituerait une formidable avancée dans cette région du monde⁴.

Luc Balbont
Administrateur de CDM, habitant au Liban
Reporter pour L’Œuvre d’Orient

Notes de la rédaction