Un livre à deux voix. Celle d’une “Française, chrétienne-catholique, qui a toujours vécu dans un pays en paix” et celle d’une “Syrienne, musulmane”, qui est née et a grandi dans une dictature permanente, en guerre depuis 2011. La complicité entre Marine de Tilly et Leïla Mustapha a donné un livre d’espoir : La femme, la vie, la liberté.

Journaliste au Point, la Française s’est appliquée à raconter le combat acharné de la Syro-Kurde pour libérer Raqqa, sa ville natale, puis le début de sa lutte pour la reconstruire.

Née en septembre 1988, Leïla Mustapha a été élu maire de Raqqa en avril 2017, juste quelques mois avant que les bataillons des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), à majorité kurde, en chassent les derniers moudjahidines de l’État islamique (EI).

Son élection à la tête de la ville martyre, ancienne capitale des islamistes, défie la logique. D’abord parce que Leïla Mustapha est kurde, un peuple ostracisé dans tous les pays arabes de la région, ensuite parce qu’elle est la seule femme, « perdue » au sein d’un conseil municipal de 130 élus.

La tâche de la maire est gigantesque : redonner vie à une population qui n’a connu que l’horreur. Un peuple en ruines comme les maisons, les places et les rues environnantes. Un peuple qui, trois ans durant, a vécu sous la loi religieuse d’un islam radical, au rythme des cinq prières quotidiennes obligatoires, privé de soins, et pris en otage entre les drones des alliés, les obus de l’armée syrienne, les flagellations et les exécutions publiques des islamistes.

Ingénieure en génie civil, Leïla Mustapha a déjà conçu avec son équipe les plans de la reconstruction de Raqqa, mais les murs sont plus faciles à remettre debout que les esprits et les mentalités. Depuis des temps lointains, Kurdes et Arabes, remplis de haine et d’a priori, se livrent à une guerre communautaire tenace. C’est à cette réconciliation que Leïla Mustapha s’est attachée d’abord, avec un mot d’ordre “Ni Kurde, ni Arabe mais Syrienne avant tout.” Son objectif : fonder une nation citoyenne, fédérale, où le Kurdistan syrien (le Rojava), jouirait d’une autonomie dans une société laïque et démocratique, peuplée de femmes et d’hommes ayant les mêmes droits, pour un vivre ensemble réel.

Leïla Mustapha sait que le chemin est plein d’embûches et qu’il lui faudra une patience d’ange pour aboutir. Opiniâtre, têtue, elle persiste à y croire. Dès son arrivée à la mairie de Raqqa, elle a créé un conseil civil, où siègent des Arabes, des Kurdes¹, et des chefs de tribus locales. Un défi immense et une avancée timide, qui commençait à se faire sentir, mais perturbée hélas, en 2019, par l’invasion de l’Armée turque, épaulée par ses supplétifs djihadistes, et une contre-offensive du pouvoir syrien. Les deux ennemis du peuple kurde, qui occupent aujourd’hui le Rojava.

Leïla Mustapha² continue pourtant d’espérer. Ce livre en témoigne.

Luc Balbont

Administrateur de CDM

Notes de la rédaction