Heureux ceux qui accueillent ; moines de Tibhirine : vivre l’hospitalité

Ce quatrième volume des Écrits de Tibhirine est consacré à la tradition de l’accueil et de l’hospitalité des bénédictins, qu’ont vécue les moines de Tibhirine. Il prolonge un volume connexe qui avait été consacré à la rencontre¹. Selon la même méthode de citations de lettres personnelles – d’homélies, de notes internes, d’entretiens, de nombreux extraits des “Chroniques de l’espérance” du Frère Christian, et de toutes sortes de documents par ordre chronologique qui vont de 1938 à 1995 -, la pratique de l’hospitalité apparait dans ses aspects les plus concrets.

Elle commence à l’hôtellerie, qui devient le lieu du “sacrement de la rencontre”. Elle se poursuit par l’accueil dans le silence et la prière du monastère, qui devient une source pour ceux qui y restent un peu de temps. Les chrétiens d’Algérie, si isolés souvent, ont besoin de se retrouver dans un cœur spirituel vivant, ouvert lui-même aux frères croyants musulmans.

Ainsi chacun apprend à accueillir l’autre et l’événement. Le monastère reçoit notamment tout au long des années des files de malades et de blessés que Frère Luc soigne avec attention. Ce dispensaire, original pour une trappe, est le lieu de rencontre le plus concret qui soit et le plus expressif de l’amour de l’autre. L’équilibre est toujours compliqué à trouver entre accueil de tous ceux qui se présentent et recueillement dans le silence de la vie monastique. Cela fait l’objet de réflexions de toute la communauté pour trouver la juste mesure sur le téléphone, le bruit, les moments de fermeture, etc.

L’hospitalité est aussi une expérience spirituelle car “c’est à travers les autres que l’on rencontre, que l’on va à la rencontre de l’Autre”. Dans la prière, tous puisent à “l’eau de Dieu”. Le projet d’abbaye lui-même a évolué dans le sens de l’accueil mutuel puisque – d’une communauté missionnaire et coloniale en 1938, avec 375 ha de terres et un projet de 100 moines -, la communauté se fait accueillir par les musulmans en se réduisant à 12 ha et une dizaine de moines. Le projet monastique de Tibhirine doit être redéfini, les moines devenant “des priants parmi les priants”. Conversion : il ne s’agit plus d’accueillir l’autre “mais, étrangers, de s’exposer à l’accueil de l’autre”. Un soufi le disait : “les croyants aujourd’hui ont besoin les uns des autres”.

Le livre fourmille de suggestions très concrètes d’accueil et d’hospitalité mutuelle, notamment dans la longue partie, “Complicité entre croyants”, plus de la moitié du livre. On pourrait chercher, par exemple, les parentés effectives entre les fêtes chrétiennes et musulmanes comme un moyen de créer des ponts. Il est possible aussi d’apprendre à prier ensemble comme ce fut le cas le 14 septembre 1974 quand le cardinal Duval et Mgr Tessier ont prié dans la mosquée de Cordoue avec les musulmans réunis pour la grande prière du vendredi, ou de chanter une sourate du Coran comme introït à la messe. La rencontre nous livre parfois des pépites remarquables : un étudiant d’une école coranique engage la conversation sur la prière avec le Frère Luc qu’il consulte. Il affirme avec une grande simplicité que “la prière, tu vois, c’est la santé de Dieu”.

En nous rapportant ces initiatives et ces recherches, le Frère Christian se révèle tout au long du livre un grand théologien de l’hospitalité dont il faudrait reprendre les intuitions. Son engagement sans faille, couronné par le martyre, constitue un appel puissant pour les chrétiens d’aujourd’hui, ceux d’ici et ceux de là-bas.

Pierre de Charentenay

ICM, Chemins de dialogue

Note de la rédaction