L’asile, un droit humain imprescriptible. Par le frère Gabriel Nissim, op.

C’est sur le droit d’asile que le fr. Gabriel Nissim op attire notre attention dans ce second article de la série “Regards” consacrée aux migrants.

Il rappelle la convention de Genève de 1951, mise en place pour la protection des réfugiés à la suite des dramatiques mouvements de population à la fin de la deuxième guerre mondiale. Mais depuis, se multiplient en Europe les réticences et les refus d’accueillir, du côté des gouvernements comme de mouvements d’opinion à connotation politique marquée. Or l’afflux de migrants est finalement bien minime par rapport à la population de l’Union européenne. C’est par une juste information qu’il convient de diffuser dans l’opinion les enjeux de fonds de la migration y compris pour la démocratie.

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“Il n’y avait plus le choix, il fallait fuir…” : c’est évident pour les Ukrainiens aujourd’hui, une évidence dont nous sommes conscients et qui a suscité un bel élan général d’accueil en Europe. “Il n’y avait plus le choix, il fallait fuir…” : c’est tout autant évident pour bien d’autres, venus de Syrie, d’Afghanistan, du Congo. Une évidence que, au contraire, tant de nos concitoyens européens ne voient pas.

Certes, nous nous disons que l’accueil des Ukrainiens est temporaire et qu’à la différence d’autres demandeurs d’asile, ils retourneront bientôt dans leur pays. Mais, pour ces autres, en réalité, contrairement à ce qu’on nous fait croire, l’Europe accueille très peu : en 2020 (avant l’Ukraine), nous avons accordé une protection à 280 000 personnes, ce qui représente seulement 0,06% de la population totale de l’UE, soit une personne accueillie pour 1600 habitants, en baisse d’ailleurs de 5% par rapport à 2019. Nous sommes très loin du “grand remplacement” ni même d’un “envahissement”. Et, à l’exception de l’Ukraine, les politiques de nos pays européens sont très disparates et surtout très restrictives : “La tendance lourde des politiques d’immigration, en France comme au niveau de l’UE, se traduit par l’élaboration et la mise en œuvre de mesures de dissuasion”, note le Secours Catholique. Car ces politiques dépendent étroitement de nos opinions publiques, dont elles sont la conséquence et le reflet.

Des opinions publiques certes sensibles à l’émotion (aujourd’hui l’Ukraine, hier la photo du petit Aylan mort noyé dans le naufrage de migrants), mais oublieuses de ce que l’asile est un droit humain, un droit indispensable que nos pays se sont engagés à respecter en adhérant à la Convention de Genève de 1951, Convention qu’il avait été nécessaire de mettre en place face à l’afflux de réfugiés, suite à la 2de Guerre mondiale. Ensuite, au cours des années suivantes, l’UE a élaboré progressivement tout un ensemble de dispositions dans ce domaine, toujours restrictives et méfiantes. Et pour citer la Cimade : “Le 22 juin dernier, la Commission européenne se félicitait des progrès réalisés quant au Pacte sur l’asile et les migrations. Ce nouveau paquet législatif, toujours en cours de négociation au sein des instances européennes, poursuit une logique sécuritaire et répressive privilégiant la multiplication des dispositifs de tri, d’enfermement et d’expulsion aux frontières et reléguant au second plan les droits humains. »

D’un côté, donc, des personnes qui, victimes dans leur pays de persécutions, ou tout simplement de conditions d’existence désespérantes, nous demandent notre accueil. De l’autre, une opinion publique et des gouvernements de plus en plus réticents à cet accueil, au point de se vanter de ce refus : “Sur l’immigration, nous faisons mieux que nos voisins”, comme le proclamait le Ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, “Quand l’Allemagne accepte 50% des demandeurs d’asile, nous en acceptons 30%”. “Mieux” que nos voisins, en termes d’humanité, de fraternité ? Il faut avoir reçu et écouté des demandeurs d’asile pour comprendre un peu leurs angoisses à la suite de ce qu’ils ont vécu là d’où ils viennent. Il faut les avoir accompagnés pour réaliser les obstacles permanents qu’ils rencontrent dans leurs démarches administratives et judiciaires.

L’une des causes majeures de cette politique “sécuritaire et répressive” de dissuasion et de refus vient de la mondialisation. Celle-ci a changé profondément le profil de notre population, en particulier dans les villes. Plus celles-ci sont importantes, plus elles sont devenues plurielles, et encore davantage nos banlieues. Il n’est que de circuler dans les rues de Paris pour entendre parler toutes les langues, pour croiser des gens de toute origine. Que cette diversité pose de nombreux problèmes, c’est clair. Qu’elle suscite des peurs, un sentiment d’insécurité, l’impression de ne plus être chez soi, c’est bien compréhensible. Mais en réalité, même si la mondialisation et le nombre des immigrés y contribuent, la cause la plus profonde de cette peur, c’est notre réaction instinctive de rejet à l’égard de “l’autre”. Pensons au massacre de sans doute près de 150 travailleurs italiens à Aigues-Mortes en août 1893, au seul motif qu’ils étaient étrangers. Le problème de fond, face à l’arrivée de ces migrants, de ces réfugiés, ce n’est pas leur nombre, c’est la peur de l’autre en tant qu’autre, un refus, une violence, qui se déchainent à la première occasion, où que ce soit : c’est là une constante, et c’est d’abord cela qu’il faut surmonter.

Alors, devant cet afflux (bien limité, quoi qu’on en dise) d’étrangers, il est urgent de mettre en place, tant au plan européen qu’au plan national et local, une politique qui désarme les peurs inconscientes et ce refus instinctif de l’autre en tant que tel. Non pas “accueillir toute la misère du monde” mais comme l’ajoutait Michel Rocard,  “savoir en prendre fidèlement notre part.” Une politique à deux volets : d’abord, face à cette peur spontanée de l’autre, mettre en place ce qui va permettre de la surmonter : la rencontre concrète de l’autre qui, seule, nous permet de reconnaître mutuellement notre commune humanité au-delà des différences. Une rencontre où naisse la sympathie, où tombent les préjugés. Créer des occasions de services rendus mutuellement, d’amitié naturelle, comme cela se passe entre les enfants à l’école, les jeunes au collège ou au lycée. Soutenir surtout tant d’initiatives locales qui valorisent les cultures dans leur diversité en même temps qu’elles créent de la fraternité, comme les fêtes de quartier, de rue et tant d’autres réalisations du même ordre.

Mais aussi combattre vigoureusement ceux qui cherchent à jouer de cette peur de l’autre et à la cultiver, en développant conjointement une culture de la peur et de l’ennemi, comme le font les courants populistes, à l’égard des “étrangers”.

“Ceux-ci sont présentés comme la source de nos maux actuels et comme une menace pour l’avenir. (…) ‘Défendre la société’ signifie dès lors la protéger, par tous les moyens, contre le ‘péril’ que la présence de ces individus, leur action, leur influence, leur poids (idéologique, politique, et pour finir toujours démographique), largement fantasmé, représentent. (…) ‘L’ennemi’ est d’autant plus à craindre qu’il complote une destruction, un renversement, dont le phantasme constitue le ciment premier de la peur. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, dans de nombreuses sociétés, le terme le plus usuel pour désigner cet ennemi est celui de ‘terroriste’.”1

Ce sera donc surtout au niveau de l’opinion publique, dans les médias, sur les réseaux sociaux, qu’il faudra combattre la désinformation et la criminalisation systématique des immigrés, combattre ceux qui, au mépris de l’humanité de ces femmes et ces hommes, en font le bouc émissaire de toutes les difficultés de notre société.

Leur humanité, semblable à la nôtre, niée et blessée là d’où ils viennent. Leur humanité, que nous sommes responsables de guérir et de leur reconnaître, pour leur dignité et pour la nôtre.

frère Gabriel Nissim, op

1 Marc Crépon, La tentation de la torture : un calcul mortifère. Un monde tortionnaire, Rapport ACAT-France (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) 2021, pp. 20-21. Nous nous sommes aussi beaucoup inspiré dans cet article du numéro 24 (mars-avril 2022) de la revue de l’ACAT-France, Humains, que l’on consultera avec profit.

NLDR. On pourra consulter sur notre site :

– L’article de René Valette du 27 mars 2019, ” Analyse démographique et enjeux migratoires de l’espace méditerranéen“, où trois populations de migrants sont distinguées en fonction de leurs motivations. René Valette, professeur émérite de l’Université catholique de Lyon, est économiste et spécialiste de la démographie. Ancien Président du CCFD-Terre Solidaire, il est membre de CDM.

– Le sommaire d’une conférence faite par René Valette à La Neylière (Rhône) le 13 octobre 2021, Populations, des urgences qui durent. Il y résume l’évolution de la démographie mondiale à partir des données récentes. “Chute de la natalité, vieillissement, dépopulation… même en Chine. Les études démographiques montrent une baisse spectaculaire et durable des taux de fécondité partout dans le monde, sauf en Afrique. Explosion démographique en Afrique, fin de la menace de surpopulation sur notre planète? Pourquoi et avec quelles conséquences?”

– La recension du livre de Jean-Dominique Giulani, La grande bascule, par Bernard Ughetto, parue le 25 janvier 2022, se référant entre autres à l’article de René Valette.

– La présentation d’un rapport de la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, qui dénonce les refoulements devenus systématiques de migrants aux frontières de l’Europe.

Photos JRS – Jesuit Refugee Service. Protéger le droit d’asile, parlement européen

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