"La France n'a pas de problème avec sa laïcité"

Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, dans son bureau de l'hotel de Broglie à Paris, le 24 juin 2013 (Julien Mignot pour Le Monde).

Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, dans son bureau de l’hôtel de Broglie à Paris, le 24 juin 2013 (Julien Mignot pour Le Monde).

L’Observatoire de la laïcité, installé en avril par le président de la République, remet, mardi 25 juin son rapport d’étape à François Hollande et au premier ministre. A ce stade, le document ne livre pas de préconisations sur les suites, législatives ou autres, à donner aux demandes du chef de l’Etat en matière de laïcité. Mais sa tonalité rompt avec le ressenti d’une partie de l’opinion publique et le discours inquiet répandu ces dernières années sur ces sujets. Son président, le socialiste Jean-Louis Bianco, explique sa conception d’une “laïcité d’apaisement” et rappelle que “la loi ne règle pas tous les problèmes”.

Hôpitaux, écoles, entreprises, administrations : votre point d’étape passe en revue l’état de la laïcité dans diverses sphères de la société. Quelles sont vos premières conclusions ?

La tonalité générale nous permet de dire que la France n’a pas de problème avec sa laïcité. Ce concept nous paraît plus moderne et plus indispensable que jamais, et capable d’apporter des réponses aux interrogations qui traversent la société française. Il apparaît, au fil des rapports que nous avons demandés, que les atteintes à la laïcité ont peut-être été surestimées. Le bilan qui en ressort est en effet beaucoup plus positif que l’on ne s’y attendait. Tous nos interlocuteurs nous disent qu’il y a moins d’incidents qu’auparavant, que la plupart d’entre eux se règlent par le dialogue, notamment dans les entreprises ou à l’hôpital, et ils ne demandent pas de nouvelle loi. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de comportements qui portent atteinte à la laïcité ou qui montrent une volonté de porter le fer contre la République.

Ne craignez-vous pas d’être taxés d’angélisme sur un dossier si sensible ?

Ces dernières années, on a eu tendance à faire de la laïcité une référence commode, une “réponse-valise” à tous les problèmes de la société. On a en outre assisté à une dramatisation politique de ces sujets. Mais il ne faut pas demander à la laïcité de régler tous les problèmes. Certains tiennent à des questions d’intégration, d’autres à la situation sociale. En période de crise, il est classique que l’on se méfie des jeunes, des étrangers, de ceux qui ne sont pas dans la culture dominante. Cette méfiance a pu être alimentée par une exploitation politique et, pour l’islam, par une médiatisation du terrorisme islamiste.

Cela dit, nous sommes conscients d’une dissonance, de contradictions entre l’analyse sérieuse des gens de terrain et l’air du temps, le ressenti que l’on a dans les témoignages. Cela nous amène à nous interroger. Il nous faudra vérifier si cette bonne nouvelle est une réalité, si cette approche plutôt optimiste et encourageante ne tient pas au fait que certains tolèrent des atteintes, comme le port de signes religieux, pour éviter les difficultés, ou ne remontent pas les incidents.

Peut-on défendre la laïcité sans alimenter un sentiment antireligieux, notamment anti-islam ?

Il est vrai que depuis dix ans, les lois adoptées ont été perçues comme des lois d’interdiction tournées principalement contre l’islam. Lois d’interdiction qui nous valent d’ailleurs d’être constamment sur la défensive face aux instances internationales.

Dans ce contexte, une de nos préoccupations concernera donc la montée évidente de l’islamophobie dans notre pays. Lorsque nous préconiserons telle ou telle mesure, éventuellement telle ou telle loi, il faudra se demander si elle est stigmatisante pour certaines personnes, si elle contribue à apaiser ou à durcir les rapports entre les Français. Il faut redonner l’idée que la laïcité est un principe de liberté, la promouvoir et la rendre aimable. Sur ce sujet, le mot d’ordre du président de la République est clairement “l’apaisement”.

Après l’arrêt de la Cour de cassation sur la crèche Babyloup – qui a annulé le licenciement d’une femme voilée, jugé discriminatoire –, M. Hollande avait évoqué une loi sur la neutralité religieuse dans les structures accueillant les enfants. Vos préconisations sont attendues pour l’automne. Où en est votre réflexion ?

Dans sa lettre de mission, le chef de l’Etat nous demande des “propositions” et “une clarification sur les lignes de séparation entre secteur privé et secteur public”. La commande n’est pas forcément de proposer une loi. Lorsque l’on est passionné de laïcité, il faut user de l’arme législative à bon escient.

Contrairement à 2004, on n’est pas face à un vide juridique. Le code du travail et la jurisprudence actuelle, subtile, répondent à la majeure partie des situations. Dans un premier temps, il faut que les acteurs connaissent mieux ces textes. D’où notre projet de publier des “guides de la laïcité” qui non seulement rappellent le droit, mais labellisent des réponses déjà apportées dans le public ou le privé. Dès qu’on envisage une loi, on butte sur le problème méthodologique de prise en compte de la jurisprudence et sur le champ d’extension de cette loi. Si l’on touche aux crèches privées, par exemple, on risque de dévider une pelote qui nous mène sur des établissements médico-sociaux, de santé, d’éducation, des centres d’accueil, des écoles privées.

Par ailleurs, n’oublions pas que la loi ne règle pas tous les problèmes. Cela ne signifie pas qu’une loi est exclue ; elle sera peut-être nécessaire le moment venu, mais commençons par publier des guides, une charte de la laïcité, des circulaires éventuellement. Laissons travailler les conférences départementales sur la laïcité. Et, plus ambitieux sans doute, redonnons une définition claire de la laïcité.

A gauche, comme à droite, des personnalités plaident pour une démarche législative.

Je peux vous dire que sur ce point, les groupes politiques sont vraiment très partagés. Certaines personnalités sont en interrogation, d’autres évoluent, dans un sens ou dans l’autre. Mais le risque existe toujours d’une récupération politicienne. Dans l’hypothèse d’une loi, il faudrait trouver un texte de consensus. Mais cela, je le reconnais, dépendra des personnes et du moment politique.

Propos recueillis par Stéphanie Le Bars

Source : www.lemonde.fr le 25 juin 2013