La force tranquille des musulmans de France

Plus de 100.000 visiteurs se sont pressés durant le week-end pascal à la 30e rencontre annuelle des musulmans de France, au Bourget, près de Paris.

Plus de 100.000 visiteurs se sont pressés durant le week-end pascal à la 30e rencontre annuelle des musulmans de France, au Bourget, près de Paris.

Plus de 100.000 visiteurs se sont pressés durant le week-end pascal à la 30e rencontre annuelle des musulmans de France, au Bourget, près de Paris. Un rassemblement festif qui attire des familles venues de tout le pays, au moment où le port du voile revient dans le débat politique.

 

Une ambiance festive et bon enfant, des familles originaires du monde entier, des centaines de femmes avec des poussettes, chargées de paquets ou traînant des valises pleines à craquer. Des jeunes, beaucoup de jeunes. Des voiles aussi, bien sûr, de toutes formes et de toutes couleurs. Telles sont les premières images qui frappent le visiteur venu découvrir, pour la première fois, ce rassemblement des musulmans de France qui se tient, chaque année, au parc des expositions du Bourget. Un événement fort peu médiatisé, si ce n’est de temps en temps en raison d’une phrase choc prononcée par un invité ou de la présence de tel ou tel homme politique donnant lieu à toutes les spéculations laïques sur le gage qui serait ainsi offert au « communautarisme ». Au programme : des conférences sur l’islam et sur la famille, des ventes du Coran et de livres religieux dans toutes les langues, des rencontres et débats avec des théologiens et autres universitaires, des animations ludiques et artistiques pour les plus jeunes.

Devenue incontournable au fil des ans, cette manifestation s’apparente à une sorte de Muslim Pride, les défilés en moins, ou de JMJ intergénérations, mêlant interventions politiques, conférences religieuses, prières, débats en tous genres mais aussi… foire commerciale ! Ici, les marchands de tissus et de tapis de prière portatifs font concurrence aux libraires, qui vendent comme des petits pains les livres traitant de la vie de couple ou expliquant l’islam aux enfants. En matière de vêtements, les tee-shirts frappés des slogans I’m Muslim, Don’t Panik ( Je suis musulman, ne paniquez pas ») ou encore I Love Gaza avec un cœur rouge se taillent un joli succès. Avec ses robes multicolores, ses thés et ses parfums orientaux, le hall du parc des expositions du Bourget ressemblerait presque au grand bazar d’Istanbul si les stands associatifs n’étaient pas aussi présents.

Tandis que des enfants gambadent dans les allées, avec des ballons de baudruche à l’effigie des Schtroumpfs ou de Mickey, les adultes se pressent pour faire leurs emplettes. Des femmes de toutes origines, arabe, africaine, asiatique, européenne, attirent les regards par la beauté, les couleurs et le drapé de leur tenue vestimentaire. Un véritable défilé de mode ! Au centre de cette fourmilière, des associations appellent aux dons pour la construction de leurs mosquées. Des organisations humanitaires, telle le Secours islamique France, font la quête pour aider les Syriens, les Maliens, les Palestiniens et même les Haïtiens. « Nous aidons toutes les populations dans le besoin, sans nous préoccuper de leur appartenance religieuse », témoigne une bénévole.

Organisée par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), la rencontre intervient au moment où le port du voile musulman fait de nouveau débat. Le 19 mars, la Cour de cassation a annulé le licenciement d’une salariée qui refusait de retirer son voile de la désormais fameuse crèche privée Baby-Loup. Cette décision, que le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a « regrettée », a donné lieu à une controverse, certains estimant que l’interdiction du foulard dans les services publics devait être étendue aux entreprises privées, d’autres jugeant qu’une telle mesure serait contraire à la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Contraire aussi au principe de liberté de conscience.

Au Bourget, l’affaire fait parler : « Il n’appartient pas au ministre de l’Intérieur de remettre en cause une décision de justice », a estimé l’intellectuel suisse Tariq Ramadan, appelant le public à être « agent de réconciliation » entre les Français musulmans et non musulmans. « Il y a un vrai sentiment d’inquiétude parmi nous, avait déclaré à l’AFP, avant l’ouverture des rencontres, le président de l’UOIF, Ahmed Jaballah. On est en train de fabriquer une laïcité à la mesure de notre pratique. »

Loin du climat commercial qui domine dans la foire, l’espace jeunesse abrite de nombreux stands d’associations. C’est là que s’est tenue dimanche une rencontre inédite entre des jeunes musulmans et des membres du mouvement interreligieux Coexister, placée sous le signe de l’écoute et de la bienveillance. Avec beaucoup de curiosité et d’intérêt de part et d’autre. « Comme étudiants musulmans, nous refusons le communautarisme et nous souffrons d’être trop souvent stigmatisés, affirme Ahmed, 21 ans, de Marseille, qui se réjouit d’avoir croisé la route de l’association. Grâce à elle, nous allons pouvoir créer des liens avec des étudiants non musulmans et mener avec eux des projets communs. »

Dans un autre stand, dédié aux prescriptions alimentaires, Fatima, 32 ans, est heureuse d’avoir pu rencontrer des chrétiens. « Ils sont les bienvenus ici, dommage qu’ils ne soient pas plus nombreux. J’ai été très émue par le geste du pape François, qui a lavé les pieds de détenus dans la prison de Rome, parmi lesquels une jeune fille musulmane. C’est un symbole fort. » Membre de l’association Étudiants musulmans de France, Nabila, 22 ans, affirme être venue ici pour « la qualité des conférences ». Et elle n’est pas déçue. « Je viens ici chaque année depuis trois ans, confie la jeune femme. C’est un moment qui renouvelle ma foi en profondeur. » Avec elle, Emna, 19 ans, fait partie des jeunes bénévoles qui accueillent le public. Cette étudiante à Sciences Po Lille assiste à toutes les conférences organisées au sein du pavillon jeunesse. En écoutant le prédicateur du moment parler du retour à Dieu et de la conversion intérieure, elle n’a pu s’empêcher de verser une larme. « J’ai été touchée au fond du cœur par ce prêche… Ce rassemblement est un moment festif qui nous permet de nous ressourcer et de rencontrer beaucoup d’autres croyants avec qui nous pouvons échanger. »

Résolument placée sous le signe du dialogue, cette 30e rencontre annuelle des musulmans de France a aussi donné la parole à Mgr Michel Dubost, président du conseil pour les relations interreligieuses de la Conférence épiscopale française. Invité à participer à une table ronde sur le thème du rassemblement, « Paix, justice et dignité », avec le président de l’UOIF, Ahmed Jaballah, et le recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, Mgr Dubost n’a pas hésité à évoquer les obstacles au dialogue, notamment les violences religieuses, estimant qu’il fallait que « les croyants ne confisquent pas la vérité et l’absolu de Dieu », qu’ils apprennent à « désacraliser les conflits » et « qu’ils s’enracinent dans la prière pour suivre un chemin d’humilité ». Des propos très applaudis par une foule nombreuse.

Plus conservateurs que réacs

Le rassemblement de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) est la plus importante rencontre de ce type en France. Proche des Frères musulmans, l’UOIF (créée en 1983) est la deuxième fédération de l’islam de France. Elle regroupe plus de 200 associations et 450 salles de prière, principalement en région parisienne, dans l’Ouest, en Alsace et à Marseille. Sa priorité : la défense des valeurs traditionnelles dans le domaine des mœurs et de la famille, et la promotion d’un islam pratiquant.

Populaire et dynamique, ce mouvement est mal connu du public et fait l’objet d’analyses parfois rapides dans les médias. Plus conservateur que réactionnaire, opposé aux mouvances intégristes, il se veut parfaitement légaliste, hostile à toutes formes de violence. Les responsables de l’UOIF s’inscrivent explicitement dans une perspective de collaboration avec les pouvoirs publics et ne manifestent leur radicalisme que dans leur volonté d’intégration… sans renoncer à s’exprimer et à défendre leurs points de vue.

Laurent Grzybowski

Source : www.lavie.fr le 5 avril 2013