Eglise protestante de France : unie mais pas uniforme

39982_protest_440x260Du 8 au 12 mai a lieu le premier synode de l’Eglise protestante unie de France à Lyon. Il signe un rapprochement historique entre luthériens et réformés séparés depuis la Réforme. Même si dans les faits, les deux courants ont un certain nombre de structures en commun, cette union marque un tournant pour le protestantisme.

En apparence, rien de spectaculaire dans le rapprochement entre luthériens et réformés. En effet, les deux Eglises protestantes “historiques” partagent déjà un certain nombre de structures communes : leurs pasteurs sont formés au même endroit, l’Institut protestant de théologie (IPT), elles ont fondé avec d’autres la Fédération protestante de France, font partie de la Conférence des Eglises européennes, elles ont une action commune à travers de nombreux mouvements (scoutisme, union chrétienne, fondation John Bost, cimade…) et elles utilisent une méthode des outils catéchétiques et des recueils de cantiques en commun.

Par ailleurs, depuis 2006, la situation existe déjà en Alsace, sous régime concordataire. La région a ouvert la voie en créant il y a six ans l’Union des Eglises protestantes d’Alsace-Lorraine. Des Eglises unies existent aussi en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et aux Etats-Unis. En France, le rapprochement entre luthériens et réformés s’inscrit dans la Concorde de Leuenberg, un texte signé en 1973 par les Eglises réformées et luthériennes d’Europe qui les déclare en pleine communion.

Pourtant c’est une première historique. Car depuis la Réforme au XVIe siècle, luthériens et réformés sont séparés. En cause? Des questions théologiques au centre desquelles se trouve la compréhension de la Sainte-Cène et celle de la “présence réelle”. Pour les luthériens, le Christ est présent dans la Sainte-Cène, les espèces et l’assemblée, même si le pain reste le pain et le vin, le vin. Les réformés croient aussi en la présence réelle, mais ils pensent qu’elle n’est pas dans les espèces. Souvent donc, les luthériens utilisent des hosties là où les réformés emploient du pain levé. Dans les deux cas, ils sont en désaccord avec la conception catholique romaine selon laquelle le pain change de nature et devient le corps du christ et le vin, son sang. La question du ministère pastoral est une autre différence : l’EELF parle d’ordination des pasteurs et l’ERF de la « reconnaissance du ministère ». Par ailleurs, les pasteurs luthériens portent parfois une étole. Dans la liturgie luthérienne, donc, le sacré est plus “visible”.

Considérant ces différences comme secondaires devant les nouveaux défis auxquels les Eglises protestantes historiques vont devoir faire face, luthériens et réformés ont décidé de s’unir sur l’essentiel, tout en gardant leur singularité. Tout au long de ce processus initié en mai 2007, l’ERF et l’EELF ont veillé à garder leur personnalité. Dans les faits, un certain nombre de luthériens et de réformés fréquentent déjà leurs églises respectives lors du culte du dimanche, s’adaptant aux pratiques des uns et des autres sans trop de difficultés.

Les nouveaux défis? La sécularisation de la société et la croissance des Eglises évangéliques, particulièrement dynamiques et plus jeunes. « En France les protestants ont toujours été ultra minoritaires et ont toujours été la mouche du coche catholique, religion hyper majoritaire. Cela a été constitutif longtemps de l’identité protestante, plus libérale, sans pape ni magistère. Et on était dans une situation figée : la petite mouche protestante face au mastodonte catholique… », expliquait Laurent Schlumberger, président de l’ERF, à La Vie en 2012. « C’est fini car la place des religions dans la société s’est modifiée car toutes sont minoritaires. Aujourd’hui, l’enjeu n’est plus de se défendre des catholiques, c’est d’apprendre à diffuser, à partager, à proposer la manière protestante de vivre la foi chrétienne. » Et façon rénovée d’envisager la mission des chrétiens protestants dans la société française : « Il faut passer d’une Eglise de membres, de gens qui appartiennent à un club, à une Eglise de témoins, qui vivent ensemble la mission de partage de la foi chrétienne. »

Ceci ne pourrait être qu’un début. Un certain nombre de luthériens et de réformés espèrent que ce rapprochement serve d’exemple aux autres Eglises de la fédération, évangéliques et charismatiques, encourageant d’autres signes d’unité. En effet, les marqueurs identitaires que sont les figures historiques de Luther et Calvin et les rassemblements comme celui du Désert, lieu de mémoire de la résistance protestante au pouvoir royal, tendent à s’effacer dans la mémoire des 18-35 ans, qui se définissent d’abord comme « chrétiens », puis « protestants » avant de se dire « luthériens » ou « réformés ».

Alors que luthériens et réformés se rassemblent en une Église protestante unie de France, les jeunes suivent le mouvement mais ils vont plus loin. Leur soif spirituelle s’est intensifiée. On voit revenir dans leur vocabulaire des mots comme « piété » et « mission »… Contrairement à leurs parents nés à une époque où être chrétien allait de soi, ils n’ont connu qu’une société où la foi devient une curiosité. Ils ressentent le besoin de se retrouver entre chrétiens – et de sortir de la communauté pour annoncer l’Évangile. Plus fort que les courants apparaît donc un nouveau clivage générationnel, entre les jeunes qui se disent missionnaires et leurs aînés. L’Eglise protestante de France sera donc bien unie. Mais pas uniforme.

 Marie-Lucile Kubacki

Source : www.lavie.fr le 7 mai 2013