Christian Lochon – « Une société civile à bases religieuses, un concept citoyen du Proche-Orient »

Regard sur l’Europe et la Méditerranée – 8 – par Christian Lochon.

Autour de la Méditerranée, le facteur religieux dans la vie des sociétés est incontournable. À l’intérieur des univers religieux méditerranéens multiformes, les chrétiens orientaux et occidentaux ont eu et ont toujours une place singulière dans la vie des sociétés. Nos propres sociétés connaissent encore mal la réalité et la diversité du christianisme méditerranéen ainsi que son rôle pour l’avenir, un réel travail d’information s’impose.

D’abord on assiste depuis les années 1970 à une étatisation du religieux sur les rives orientale et méridionale de la Méditerranée. Les luttes politiques sanglantes actuelles, la guerre civile étendue à des territoires considérables, même réduits aujourd’hui, sont menées au nom d’une instrumentalisation de la religion qui prend la forme de persécutions contre les non-musulmans puis contre les musulmans qui refusent l’ultra conservatisme des Frères Musulmans, des salafistes et naturellement des miliciens arabes ou étrangers engagés dans le terrorisme. Ces thuriféraires de la charia ne se sont pas aperçu que leur interprétation douteuse de situations diachroniques conjoncturelles à partir de textes sacralisés est seulement humaine, surtout inhumaine et en rien « divine ». Mais l’absence de régulation démocratique et le déni du droit des peuples à être associés à la gouvernance retardent naturellement le règlement de la crise. Rappelons le rapport du PNUD de 2002 qui recommandait la nécessité de réformes très profondes dans les pays arabes en vue d’une meilleure gouvernance, de l’adoption d’une exégèse (ijtihad) en vue d’aboutir à la concordance entre les finalités universelles de la charia et la société de liberté et de bonne gouvernance et de veiller à la diffusion de la culture de l’égalité et du respect des droits de l’homme.

Nos frères chrétiens et musulmans du Proche-Orient n’abandonnent pas leur religion dans leur vie quotidienne comme nous avons appris à le faire en France et rarement ailleurs en Europe ; ils essaient quand cela se peut de la séculariser. Ce sont ces efforts louables (nous n’avons pas ces contraintes et nous n’imaginons pas que d’autres puissent les avoir) dont il faut parler. Pour cela, il faut se livrer à une étude assez approfondie du terrain (Égypte, Liban, Irak, Syrie avant la guerre, voire Turquie et Iran), prendre connaissance des publications des chercheurs proche-orientaux qui décrivent leurs efforts en ce sens et des prises de position modernistes d’une partie du personnel religieux arabe chrétien et musulman.

Le 10 mai 2009, le Pape Benoît XVI s’adressait ainsi aux fidèles à la messe célébrée au Stade d’Amman : « La fidélité à vos racines chrétiennes réclame de vous le courage de construire de nouveaux ponts … pour enrichir le tissu de la société ». Mgr Pascal Gollnisch, dans La Libre Belgique du 13 janvier 2017 en donnait la raison : « Les Chrétiens de la région peuvent utilement contribuer au développement de leur nation comme ils l’ont toujours fait sur le plan de l’enseignement, de la santé et des services sociaux ».

C’est qu’au XXIe siècle, les établissements scolaires confessionnels chrétiens sont restés très recherchés (jusqu’à 90% d’élèves musulmans).  Les hôpitaux et les maternités (Égypte, Syrie, Liban, Palestine, Jérusalem) maintiennent une grande réputation de propreté, d’efficacité, de charité. Dans le secteur associatif, caritatif, les orphelinats, les asiles de personnes âgées abandonnées, sont gérés par des laïques, qui font un travail remarquable particulièrement envers les familles ayant des enfants handicapés (physiques ou moteurs) pour lesquels aucune aide de l’État n’est prévue. Nombreux dans la gestion des hôtels, des agences touristiques, les chrétiens contribuent à donner de leur pays une image satisfaisante pour les étrangers. Dans les secteurs intellectuels, la recherche universitaire, les hommes et femmes de lettres, les scientifiques chrétiens sont nombreux proportionnellement, les familles chrétiennes ayant le souci permanent de faire réussir leurs enfants dans leurs études. Même limités dans la haute fonction publique, l’armée, l’administration régionale, les chrétiens, tous rites confondus, continuent donc à demeurer indispensables, voire irremplaçables, dans de nombreux secteurs, particulièrement le social, le scolaire et le culturel. Ils constituent un chaînon indispensable des sociétés arabes.

Les Chrétiens, certes, ne sont pas les seuls à participer aux nouvelles sociétés civiles qui émergent au Proche-Orient, mais ils en sont le sel.

Il est vrai que la modernité trouve des adversaires chez les chrétiens comme chez les musulmans qui craignent de nuire à la tradition et à la religion. La formation d’une identité nationale reste inachevée. Le clivage religieux se durcit avec la réislamisation de la société. La démocratisation exige une réinterprétation moderne de la charia. Le sécularisme est le meilleur moyen vers la citoyenneté.  En fait, le Statut Personnel constitue une accumulation d’inégalités. La charia prend ses sources dans le Coran dont on ne peut changer ce qui y est consigné et dans les recueils de hadiths dont beaucoup avaient déjà été mis en cause par les traditionnistes du IXe siècle. C’est cela qui doit être réformé en priorité.

Christian Lochon

 

ANNEXE :

N.B. : Rappelons que les derniers Chrétiens autochtones quittèrent la Libye en 1049, la Tunisie en 1091, l’Algérie en 1150, le Maroc en 1300 (des prêtres expatriés d’Espagne et des religieux franciscains résidèrent au Maroc sous les dynasties mérinide et alaouite à la demande des mercenaires européens).

 

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Illustration : Gerd Altmann