Au cœur de l’enfer des prisons israéliennes. Une enquête de Yaani, groupe de chercheurs indépendants sur Israël et la Palestine.

Nous faisons écho à l’enquête d’une ONG israélienne, Physicians for Human Rights-Israel (PHRI), (Médecins pour les droits humains-Israël) qui a été fondée au cours de la première Intifada par un groupe de médecins palestiniens et juifs. Une de ses collaboratrices, Oneg Ben Dror, cheffe de projet au département des prisonniers et détenus de PHRI, a donné un long entretien à Yaani, un tout récent collectif de jeunes chercheurs en des champs divers des sciences humaines, s’intéressant à la situation en Israël et en Palestine. Parmi eux figure Thomas Vescovi dont CDM a recensé les ouvrages :

Et il a répondu aux questions de Marilyn Pacouret, présidente de “Chrétiens de la Méditerranée”, dans un entretien vidéo résumé dans un article du 8 décembre 2021.

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Le département des prisonniers et des détenus de PHRI s’occupe de l’ensemble des prisonniers qui sont sous le contrôle des différentes forces de sécurité israéliennes : l’administration pénitentiaire, l’armée ou le service de sécurité intérieure, le Shabak. Il s’agit principalement – mais pas exclusivement – de Palestiniens. L’organisation a même aidé Yigal Amir, l’assassin d’Yitzhak Rabin, en raison de sa détention en isolement. Le principe qui guide l’action de ce Département est que personne ne devrait être détenu en isolement ou en détention administrative. Les cas remontent à l’ONG principalement par l’intermédiaire des familles et des avocats. Cet entretien a été réalisé à Jaffa par Caterina Bandini, pour Yaani, pas loin du bureau d’Oneg, le 2 juillet 2024, puis légèrement amendé et mis à jour par elle avant publication.

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Voici l’introduction de ce rapport.

Yaani. Quelle était la situation des prisonniers palestiniens avant le 7 octobre ?

Oneg Ben Dror. Avant le 7 octobre, les Palestiniens souffraient de violations de leurs droits en prison et dans le système judiciaire pénal. Tous ces systèmes sont hostiles aux Palestiniens car ils font partie des forces d’occupation. En prison, les Palestiniens n’étaient pas autorisés à établir de liens avec les membres de leur famille, donc pas d’appels téléphoniques par exemple. Aussi, la plupart des prisons où sont détenus les Palestiniens se trouvent dans le Sud, autour de Mitzpe Ramon et de Beer Sheva, ce qui complique les soins médicaux, car c’est loin du centre du pays. Il y a des médecins spécialistes qui se rendent en prison, mais à ces endroits il y en a moins. De nombreuses personnes incarcérées souffrent de négligence médicale et le recours à l’isolement est de plus en plus fréquent, tant pour les prisonniers “de sécurité” que pour les “criminels”. Avant la guerre, il y avait environ 15 000 personnes en prison au total, aussi bien des Palestiniens classés comme prisonniers “de sécurité” que comme prisonniers “criminels”.

La situation s’était déjà détériorée avec le gouvernement actuel, puisque [Itamar] Ben Gvir est responsable des prisons en tant que ministre de la Sécurité nationale. Même avant la guerre, il s’était fixé pour objectif de rendre la vie des Palestiniens en prison misérable. Par exemple, il a décidé qu’ils n’avaient pas le droit de faire leur propre pain. Il a également tenté de faire passer une loi prévoyant la peine de mort pour les Palestiniens, officiellement pour les “terroristes”, et s’opposant à ce que les prisonniers bénéficient de tout traitement qui améliore leur qualité de vie. Or d’un point de vue médical, une telle définition n’existe pas : tout traitement améliore la qualité de la vie !

Y. Qu’est-ce qui a changé après le début de la guerre ?

O. L’administration pénitentiaire a décrété une politique d’enfermement pour tous les Palestiniens en prison, ce qui signifiait un confinement prolongé dans les cellules, l’interdiction de sortir dans la cour, la confiscation de tous les biens privés. Les gens se sont retrouvés avec les seuls vêtements qu’ils avaient sur eux, il y en a qui ont passé l’hiver avec un t-shirt. L’administration pénitentiaire fournissait de la nourriture de qualité très médiocre en très faible quantité et les gens ont perdu jusqu’à 15 ou 25 kg en quelques mois. Ensuite, il y a eu des coupures d’eau et d’électricité. Dans chaque prison, il y a une clinique pour les traitements de base, mais les prisonniers palestiniens n’étaient pas autorisés à s’y rendre. Les visites des familles ont été interdites, celles des avocats restent très limitées, le Comité International de la Croix-Rouge se voit toujours refuser l’accès aux prisons. Tout cela a été justifié par l’état d’urgence, sans autre explication.

Puis les prisons ont commencé à être surpeuplées. Les gens dorment à même le sol. Le nombre de Palestiniens emprisonnés avant la guerre était d’environ 6 000 classés comme prisonniers “de sécurité”. Au cours de l’été 2023, le nombre de Palestiniens en détention administrative était de 1 300, le plus élevé depuis 2016. Aujourd’hui, près de 10 000 Palestiniens sont classés comme prisonniers “de sécurité” et environ 3 500 sont en détention administrative.

Il existe une nouvelle catégorie qui était auparavant utilisée pour les détenus libanais, à savoir les “combattants illégaux”. Il y aurait maintenant environ 1 200 “combattant illégaux”. Cette catégorie est utilisée pour les détenus de Gaza, même s’il y a aussi des Gazaouis qui sont en détention administrative et d’autres qui sont détenus comme prisonniers “réguliers”. Nous pensons que cette catégorie sert de détention administrative pour les personnes soupçonnées d’actes criminels mais pour lesquelles il n’y a pas assez de preuves à charge. Dans la détention administrative “normale”, les détenus doivent voir un juge dans les quatre-vingt-seize heures, tandis que dans cette catégorie, il y a des gens qui n’ont vu personne depuis six ou sept mois. Au début, c’est quarante-cinq jours sans avocat, mais cela peut être prolongé à l’infini. Ce qui permet une longue déconnexion du monde extérieur. La politique d’enfermement est une politique de vengeance.

Lire ici la totalité de l’entretien de Caterina Bandini avec Oneg Ben Dror.

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Qu’est Yaani ?

Il s’agit d’une expression arabe qu’on peut traduire par “c’est-à-dire” (littéralement  signifier).

Elle est couramment utilisée dans les conversations palestiniennes et est devenue, par appropriation culturelle due au contexte colonial, un mot courant de l’argot israélien. Elle souligne une recherche de compréhension du sens de ce que l’on tente d’expliquer à un interlocuteur. Il s’agit de l’objectif principal de ce blog : à partir du point de vue de jeunes chercheur·es de terrain, porter des regards critiques sur les contextes israélo-palestiniens, les rapports coloniaux qui les structurent et les oppressions systémiques des Palestinien·nes. Il s’agit d’informer et de sensibiliser le public francophone aux enjeux qui traversent ces espaces et aux expériences de celles et ceux qui vivent entre la Méditerranée et le Jourdain, ainsi que leurs résonances dans le monde. Ce blog vise à fournir des clés de lecture pour mieux comprendre ces sociétés et pour mettre en perspective les représentations traditionnelles qu’on en fait.

Fondé en 2023, ce blog indépendant rassemble bénévolement différentes voix de la jeune recherche, dans des disciplines très variées, allant de la sociologie à l’histoire, en passant par le droit international, la géographie, la science politique et l’anthropologie. Le but est de fournir des analyses et des récits fondés sur des travaux scientifiques, des observations empiriques et des données objectives.

Les articles publiés sur ce blog sont proposés par les membres du comité de rédaction et par de nombreux·ses auteurs et autrices. Des articles en arabe, en hébreu et en anglais seront également traduits et publiés sur ce site.

 

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