En moins d’un mois, le président Trump est intervenu de manière fébrile en de nombreux domaines de la politique intérieure et extérieure des Etats-Unis, et par là-même sur la scène mondiale. Après sa rencontre avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à Washington, il a repris de manière officielle le projet d’expulser de Gaza ses habitants palestiniens. Nous relayons une réaction à ce projet en provenance de Gaza, tirée d’un blog hébergé par la revue en ligne Orient XXI.
Les vrais buts de guerre ne sont plus sous la table
Dans le journal de bord de Rami Abou Jamous pour Orient XXI depuis Gaza
Fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, Rami Abou Jamous a dû quitter en octobre 2023 son appartement de la ville de Gaza. Réfugié depuis à Rafah, Rami et les siens ont dû reprendre la route de leur exil interne. Il a reçu, pour ce journal de bord, deux récompenses, le Prix Bayeux pour les correspondants de guerre, dans la catégorie presse écrite, et le prix Ouest-France.
Voici quelques extraits de son journal pour le mercredi 5 février 2025.
Gaza, le 1er février 2025. Deux garçons tiennent des drapeaux palestiniens alors qu’ils arrivent pour voir des membres du Hamas remettre un otage israélo-américain à une équipe de la Croix-Rouge, dans la ville de Gaza. Omar AL-QATTAA / AFP
L’homme qui se permet de dire qu’il veut annexer le Canada et le Groenland, affronter la Chine et le Mexique, et plus encore ? Je n’étais donc pas étonné de l’entendre affirmer que Gaza passerait sous la tutelle des États-Unis, ou même leur “appartiendrait” pour en faire “la Côte d’Azur du Proche-Orient”.
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Ce qui est curieux, c’est que Trump veut construire chez lui le plus grand mur du monde pour stopper l’immigration, et demande en même temps aux Palestiniens d’émigrer. Il ne comprend pas que, malgré ces quinze mois pendant lesquels nous avons vécu sous les bombes et subi des massacres, des boucheries, des ‘israéleries’, des tueries, nous voulons toujours rester à Gaza. Oui, des gens sont partis, parce qu’ils avaient peur de la mort, pour fuir la machine de guerre. Ils ont payé de grosses sommes à une agence égyptienne. Mais ça n’a rien à voir avec l’émigration massive que Trump a en tête.
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Et là, on comprend très bien que les vrais buts de guerre ne sont plus sous la table, mais dessus, en plein jour. C’est ce que je dis depuis le début de la guerre : le but des Israéliens, dont Trump se fait l’interprète, ce n’est pas d’éradiquer le Hamas, ni de libérer les prisonniers israéliens, mais d’expulser toute la population de Gaza vers le Sinaï ou d’autres lieux. Les euphémismes de Trump —, “raisons humanitaires” au lieu de nettoyage ethnique, “chercher une meilleure vie pour eux” — ne trompent personne.
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Il n’y a plus rien à Gaza. Les Israéliens ont bien compris qu’(…) il y aura des gens qui choisiront de partir. Pour ne plus revenir ? Je crois que les gens n’envisagent pas un départ définitif ; ils veulent revenir à Gaza, ou en Palestine en général.
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Malheureusement, c’est la position de la “communauté internationale”. Personne ne dénonce réellement un plan de transfert, un nettoyage ethnique. Pendant la guerre, on a assisté à un génocide en direct, 24 heures sur 24, et personne n’a osé l’arrêter. Je crois que ce sera la même chose avec le transfert forcé, s’il est présenté comme “volontaire”. Personne ne dira non à l’Amérique.
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C’est là que Trump dévoile ses vrais buts de guerre, qui sont aussi ceux d’Israël : envoyer les Palestiniens ailleurs, surtout en Égypte, voisine de Gaza, et en Jordanie, voisine de la Cisjordanie.
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Certes, la Jordanie déclare refuser d’accueillir un exode palestinien, tout comme l’Égypte. Mais il faut compter avec la carotte de Trump. On parle de 170 milliards de dollars (163 milliards d’euros) pour chaque pays, plus 100 milliards de dollars (96 milliards d’euros) pour les Palestiniens qui vont se déplacer. Je crois que cela peut jouer, car le départ des Palestiniens pourrait ne pas se faire brusquement. On ne verrait pas deux millions de personnes faire la queue au terminal de Rafah. Trump a quatre ans pour organiser cela. Je crains que, pour échapper à la non-vie, les Gazaouis qui le pourraient paieraient pour sortir.
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Mais je compte quand même sur la volonté des Palestiniens. Je crois à leur appartenance à cette terre. Je crois que personne ne veut vraiment quitter la Palestine. Je crois qu’un jour, on va reconstruire Gaza et la Palestine (…), elle ne sera jamais le château de Trump au Proche-Orient.
Article original : https://orientxxi.info/dossiers-et-series/les-vrais-buts-de-guerre-ne-sont-plus-sous-la-table,7986
Le Journal de Bord de Gaza, de Rami Abou Jamous, a été publié en novembre 2024 aux Éditions Libertalia, collection Orient XXI. Préface de Leïla Shahid. Présentation de Pierre Prier. 272 pages.
Image Omar AL-QATTAA / AFP / Orient XXI