La guerre au Liban n’empêche pas que se poursuive l’épreuve sanglante des Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie. Nous faisons écho aux informations diffusées par l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), dont le site montre une réalité de la situation que les médias occidentaux occultent le plus souvent. Nous transmettons les nouvelles reçues de notre ami Ziad Medoukh depuis Gaza. Et nous reprenons un texte du philosophe Gilles Deleuze, dont l’actualité est aujourd’hui brûlante, puisqu’il met en continuité la manière dont les Etats-Unis ont traité les Indiens au 19ème siècle pour s’emparer de leurs terres et la politique constante d’Israël à l’encontre des Palestiniens.
Informations diffusées par l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP)
-A l’occasion des fêtes du nouvel année juif, une femme rabbin américaine, Linda Holtzman, affirme qu’à la tragédie du 7 octobre 2023 en Israël, il est inadmissible d’en ajouter une autre, celle que subissent les habitants de Gaza. Elle rappelle l’action de Jewish Voice for Peace, dont les membres ont manifesté en juillet devant le Capitole, à Washington, contre la fourniture par les États-Unis des armes qui permettent à Israël d’écraser Gaza. Et elle la met en relation avec la marche en Alabama du révérend Martin Luther King Jr.
En conclusion elle déclare :
“En tant que Juive, je comprends à quel point le crime de génocide aura des répercussions sur des générations. En tant que rabbin, je suis également horrifiée par la façon dont le gouvernement israélien exploite notre tradition sacrée pour justifier la brutalité de ses campagnes.
Nous concluons les grandes fêtes avec Yom Kippour, le Jour du Grand Pardon. En ce jour saint, nous réfléchissons à nos transgressions. Nous reconnaissons notre complicité dans nos méfaits et nos torts. Nous choisissons de ne pas nous détourner de tout ce qui doit être changé. Et nous nous engageons au tikkun olam, à réparer le monde.”
Voir l’article entier sur le site de l’UJFP : https://ujfp.org/en-tant-que-rabbine-ma-pratique-sacree-est-dagir-directement-contre-le-genocide/
-L’UJFP, malgré d’immenses difficultés, maintient toujours une présence d’assistance et de solidarité à Gaza. Elle peut ainsi donner des informations en direct sur la situation des Palestiniens grâce à son correspondant sur place, Abu Amir.
On verra, dans son compte-rendu hebdomadaire du 17 au 23 octobre, comment l’UJFP s’efforce de pallier à la destruction du système scolaire dans l’éducation des enfants, comment se mettent en place des Ateliers de soutien psychologique pour les femmes.
Voir l’article entier sur le site de l’UJFP : https://ujfp.org/compte-rendu-dactivite-hebdomadaire-de-lequipe-dabu-amir-semaine-du-17-au-23-octobre-2024-en-depit-de-toutes-les-difficultes-auxquelles-elle-est-confrontee/
-Un autre article d’Abu Amir retient aussi l’attention. Il montre comment la situation sécuritaire se dégrade à Gaza, avec des groupes armés qui s’opposent et des divisions au sein même du Hamas. Sans que l’on sache si c’est le présage d’une plus forte radicalisation ou au contraire d’une volonté de négocier.
https://ujfp.org/le-hamas-entre-le-marteau-et-lenclume/
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Ziad Medoukh avec les enfants et les jeunes de Gaza
Des nouvelles de Ziad Medoukh nous sont parvenues depuis Gaza le 21 octobre 2024. Il a écrit un article paru dans L’Humanité du 4 octobre 2024 : “Après un an, je suis toujours vivant, ça tient du miracle”. Sa maison a été détruite, son frère et ses nièces tués. Il livre une chronique d’une année d’horreur qui ne s’arrête pas.
Il encourage les enfants de Gaza à poursuivre leur scolarité même en pleine agression :
Et il organise une journée de cueillette des olives avec des jeunes et des enfants, au bénéfice d’une famille de Gaza :
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Les Palestiniens, Indiens d’Israël
Nous reprenons ce texte de sites amis, “Garrigues et Sentiers”, “Dieu maintenant” et “Nous sommes aussi l’Eglise (Nsae)”. Il est tiré d’un recueil d’écrits de Gilles Deleuze (décédé en 1995) intitulé “Deux régimes de fous et autres textes 1975-1995”, rassemblé en 2003 par David Lapoujade (éditions de Minuit). L’un de ses thèmes est l’horizon d’un nouveau fascisme, sous la forme d’une “entente mondiale pour la sécurité”, plus implacable encore que celui qui a existé.
Concernant la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens, Gilles Deleuze y dénonce la politique génocidaire des Israéliens à l’égard des Palestiniens, alors que parler de génocide est aujourd’hui devenu controversé. Il en explique le sens, en contrepoint avec le destin des Indiens d’Amérique.
D’un bout à l’autre, il s’agira de faire comme si le peuple palestinien, non seulement ne devait plus être, mais n’avait jamais été. Les conquérants étaient de ceux qui avaient subi eux-mêmes le plus grand génocide de l’histoire. De ce génocide, les sionistes avaient fait un mal absolu. Mais transformer le plus grand génocide de l’histoire en mal absolu, c’est une vision religieuse et mystique, ce n’est pas une vision historique. Elle n’arrête pas le mal ; au contraire, elle le propage, elle le fait retomber sur d’autres innocents, elle exige une réparation qui fait subir à ces autres une partie de ce que les juifs ont subi (l’expulsion, la mise en ghetto, la disparition comme peuple). Avec des moyens plus “froids” que le génocide, on veut aboutir au même résultat.
Les USA et l’Europe devaient réparation aux juifs. Et cette réparation, ils la firent payer par un peuple dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’y était pour rien, singulièrement innocent de tout holocauste et n’en ayant même pas entendu parler. C’est là que le grotesque commence, aussi bien que la violence. Le sionisme, puis l’État d’Israël exigeront que les Palestiniens les reconnaissent en droit. Mais lui, l’État d’Israël, il ne cessera de nier le fait même d’un peuple palestinien. On ne parlera jamais de Palestiniens, mais d’Arabes de Palestine, comme s’ils s’étaient trouvés là par hasard ou par erreur. Et plus tard, on fera comme si les Palestiniens expulsés venaient du dehors, on ne parlera pas de la première guerre de résistance qu’ils ont menée tout seuls. On en fera les descendants d’Hitler, puisqu’ils ne reconnaissaient pas le droit d’Israël. Mais Israël se réserve le droit de nier leur existence de fait. C’est là que commence une fiction qui devait s’étendre de plus en plus, et peser sur tous ceux qui défendaient la cause palestinienne. Cette fiction, ce pari d’Israël, c’était de faire passer pour antisémites tous ceux qui contesteraient les conditions de fait et les actions de l’État sioniste. Cette opération trouve sa source dans la froide politique d’Israël à l’égard des Palestiniens.
Israël n’a jamais caché son but, dès le début : faire le vide dans le territoire palestinien. Et bien mieux, faire comme si le territoire palestinien était vide, destiné depuis toujours aux sionistes. Il s’agissait bien de colonisation, mais pas au sens européen du XIXe siècle : on n’exploiterait pas les habitants du pays, on les ferait partir. Ceux qui resteraient, on n’en ferait pas une main-d’œuvre dépendant du territoire, mais plutôt une main-d’œuvre volante et détachée, comme si c’étaient des immigrés mis en ghetto. Dès le début, c’est l’achat des terres sous la condition qu’elles soient vides d’occupants, ou vidables. C’est un génocide, mais où l’extermination physique reste subordonnée à l’évacuation géographique : n’étant que des Arabes en général, les Palestiniens survivants doivent aller se fondre avec les autres Arabes. L’extermination physique, qu’elle soit ou non confiée à des mercenaires, est parfaitement présente. Mais ce n’est pas un génocide, dit-on, puisqu’elle n’est pas le “but final” : en effet, c’est un moyen parmi d’autres.
La complicité des États-Unis avec Israël ne vient pas seulement de la puissance d’un lobby sioniste. Elias Sanbar* a bien montré comment les États-Unis retrouvaient dans Israël un aspect de leur histoire : l’extermination des Indiens, qui, là aussi, ne fut qu’en partie directement physique. Il s’agissait de faire le vide, et comme s’il n’y avait jamais eu d’Indiens, sauf dans des ghettos qui en feraient autant d’immigrés du dedans. À beaucoup d’égards, les Palestiniens sont les nouveaux Indiens, les Indiens d’Israël.
Gilles Deleuze
* NDLR. Elias Sanbar est un historien et diplomate palestinien qui s’est lié d’amitié avec Gilles Deleuze. Il a récemment contribué à l’ouvrage collectif “Ce que la Palestine apporte au monde” (éditions du Seuil, 2023), recensé sur notre site (https://www.chretiensdelamediterranee.com/livre/ce-que-la-palestine-apporte-au-monde/).
Il vient de publier “La dernière guerre ?, Palestine, 7 octobre 2023 – 2 avril 2024”. Tracts Gallimard, 2024, où il reprend la comparaison des Palestiniens avec les Indiens d’Amérique (o.c. p.43).
Liens : http://www.dieumaintenant.com/palestiniensouindiens.html
http://www.garriguesetsentiers.org/2024/10/les-palestiniens-les-indiens-d-israel.html
Images UJFP et “Gaza La Vie”