Titre
Savants musulmans au MaghrebAuteur
Sabrina Mervin et Augustin Jomier, sous la direction deType
livreEditeur
Marseille : Diacritiques éditions, 2023Collection
Sciences humaines et sociales ; 6Nombre de pages
321 p.Prix
25 €Date de publication
29 avril 2024Savants musulmans au Maghreb.
En douze chapitres, correspondant à douze contributions d’auteurs issus de plusieurs universités, cet ouvrage met en lumière douze figures de savants qui ont émaillé l’histoire contemporaine du Maghreb, du seuil du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Certains de ces savants seront déjà bien connus du lecteur francophone comme Abdel Hamid ibn Badis, “figure mythique en Algérie”1, et Dalil Boubakeur, longtemps recteur de la Grande Mosquée de Paris2. D’autres mériteront toute son attention comme Abdallah Serge Althaparro, ce Français d’origine basque devenu l’un des savants les plus en vue en Occident aujourd’hui3. Illustré par Christian Wouters, cet ouvrage se présente ainsi comme “une véritable galerie de portraits”, n’hésitant pas cependant à aller au-delà des récits nationaux, des apologies comme des mises au ban.
Ce livre permet aussi une mise en lumière bienvenue d’un Occident musulman souvent réduit à une culture populaire qualifiée d’arriérée. Comme l’écrivent Augustin Jomier et Sabrina Mervin en introduction, “l’ambition de cet ouvrage est de faire ainsi connaitre la contribution des sociétés du Maghreb à l’islam contemporain, souvent mésestimée” par rapport à l’Orient musulman. Et, de fait, les douze portraits rassemblés ici réussissent ainsi à mettre en valeur “une vivace tradition d’érudition islamique dont les oulémas sont les acteurs principaux, en tant que dépositaires, producteurs et transmetteurs du ‘ilm’, cet ensemble de connaissances qui soutient la vie religieuse du croyant’ (p. 9).
Or, à la période contemporaine, face aux dynamiques de la modernité et de la colonisation, ce domaine du savoir se renouvelle et “le rôle des oulémas se rétrécit” (p. 12). L’accélération des échanges, les mutations de l’enseignement, la diffusion de l’imprimé, sont autant de facteurs qui obligent la figure du savant musulman à se métamorphoser. L’un des intérêts de ce livre est d’ailleurs de montrer la diversité des attitudes dans ce contexte historique :
“Les stratégies adoptées face au colonisateur sont multiples, allant de l’évitement ou du repli sur soi à l’opposition frontale, en passant par maintes formes d’accommodement. De la même manière, la contribution des oulémas à la construction des nationalismes a été variable, tout comme leur attitude dans les luttes indépendantistes” (p. 17).
La période des indépendances, avec les importantes reconfigurations des champs religieux qu’elle entraîne, n’offre pas moins de défis. Et si les politiques d’arabisation menées à partir des années 1960 “sont l’occasion pour les oulémas de regagner des places dans l’appareil d’État”, à partir des années 1970, “de nouveaux entrepreneurs religieux qui prônent un islam politique gagnent en visibilité” (p. 18).
Le présent ouvrage propose ainsi une analyse des rapports complexes, voire des tensions, entre un islam dit traditionnel, marqué par le malékisme4, et des velléités réformistes qui peuvent prendre leur source à l’extérieur du Maghreb. Car les différentes contributions ne manquent pas de replacer le Maghreb dans un contexte international plus large. Les différents itinéraires qui sont retracés ici transportent ainsi le lecteur non seulement de Rabat à la Cyrénaïque, mais aussi à Paris, Tombouctou et bien sûr en Orient qui constitue le grand pôle de référence des études islamiques et où se rendent bon nombre des savants présentés ici. Mais au travers de la question de l’enseignement et des savoirs, ce sont aussi des problématiques transversales plus précises qui sont abordées ici, à l’instar du soufisme, de l’héritage ottoman, du commerce du livre au Sahara, de la place de la femme. Le dernier portrait est d’ailleurs celui d’une femme Aïcha El Hajjami5, “comme un pari sur l’avenir” (p. 19).
Rémi Caucanas6
Notes de la rédaction
4 Le malikisme ou malékisme est une école religieuse (madhhab) de l’islam sunnite.
6 Ancien directeur de l’Institut Catholique de la Méditerranée (ICM, Marseille, France), et ancien secrétaire général adjoint du réseau Chrétiens de la Méditerranée, Rémi Caucanas est chercheur associé à l’Institut de Recherches et d’Etudes sur le Monde Arabo-Musulman (IREMAM, Aix-en-Provence, France) et au Pontifical Institute for Studies in Arabic and Islam (PISAI, Rome, Italy). Professeur en histoire de l’Église et histoire des relations islamo-chrétiennes, il a enseigné au Tangaza University College (TUC, Nairobi, Kenya) de 2018 à 2021, et à l’Université Saint-Paul (Ottawa, Canada) en 2022. Il vit aujourd’hui à Belo Horizonte, au Brésil, où il a commencé une résidence post-doctorale à l’Université Fédérale du Minas Gerais (UFMG). Rémi Caucanas est intervenu en visioconférence à l’ouverture de l’Université d’hiver de CDM à Lyon (17-19 mars 2023). Voir aussi ses autres contributions et recensions de livres sur le site de CDM.